Quelle est la valeur ajoutée d’une approche chaîne de valeur ? Pour répondre à cette question, je vous raconte mon expérience personnelle avec Rikolto en République démocratique du Congo dans l’accompagnement des chaines agricoles durables. Ceci est une lecture personnelle et limitée des défis auxquels nous faisons face au quotidien dans nos programmes.
Approche chaîne de valeur et rôle des institutions de crédit : mon regard personnel
Approche chaîne de valeur et rôle des institutions de crédit : mon regard personnel
Par Fabrice Maghulu, chef d’antenne provinciale du Nord-Kivu
La plus-value d’une approche chaine de valeur agricole s’est particulièrement clarifiée depuis que je suis confronté, avec les autres collègues, aux succès et aux échecs rencontrés dans la mise en œuvre de notre programme. On vise l’inclusivité des paysans et paysannes dans les chaines agricoles, qu’il s’agisse du café ou du riz pluvial comme c’est le cas à l’antenne du Nord-Kivu.
Au-delà de la multiplicité des acteurs appelés à la complémentarité pour garantir le « win-win » idéal entre producteurs, transporteurs, transformateurs, distributeurs, consommateurs et prêteurs, le rôle de ces derniers, c’est-à-dire les offreurs des services financiers, a particulièrement attiré mon attention !
Sentiment du « déjà entendu »
Et voici la raison : le monde paysan, dans notre région, a longtemps été victime de pratiques « d’escroquerie » organisationnelle. Ces pratiques sont à l’origine de frustrations développées par les paysans qui sont restés généralement très pauvres, pendant que les leaders en tiraient des bénéfices. Ces initiatives ont pris des dénominations diverses : associations, coopératives des producteurs, coopératives commerciales, coopératives d’épargne et de crédit etc., sous couvert d’objectifs ambitieux de contribuer à l’émancipation du monde paysan, mais avec des effets désastreux chez les producteurs.
C’est fort de cette lecture que je comprends alors ce que j’ai, un moment donné, considéré comme une résistance au changement, un refus des producteurs d’adhérer à la logique de marché ! En fait, ils en ont assez des pratiques où ils se retrouvent toujours au bout du compte comme les dindons de la farce. Ceux que tout le monde dit servir mais qui ne sont jamais servis ! C’est ainsi qu’ils doutent de tout, qu’ils ne croient plus en rien du tout, surtout lorsque la nouvelle initiative prend une dénomination qui ressemble à « du déjà vécu » !
Franchement quand j’écoutais les paysans, j’avais l’impression que rien ne peut plus marcher maintenant et que les notions d’inclusivité, d’équité, de durabilité, de connexion au marché moderne…que nous voulons promouvoir ne sont que des mots vides de sens qui ne collent à aucune réalité.
Nécessité de clarifier les choses
C’est là que je trouve formidable la clarification de la notion de chaîne de valeur dans son sens de l’interdépendance entre les acteurs et que je voudrais ressortir la particularité du rôle joué ou à jouer par les prêteurs pour relever un défi énorme auquel se confrontaient les programmes.
Ma lecture est telle que les coopératives café qui ont gagné une certaine visibilité sur le marché aujourd’hui n’en seraient pas là, n’eut-été ce que nous avons appelé préfinancement (par certains acheteurs) ou crédit (par les prêteurs : IMF, prêteurs sociaux) qui ont joué un rôle déterminant pour motiver les producteurs qui peinent à réunir le capital de leurs coopératives bien qu’ayant souscrit à la libération de parts sociales.
L’expérience récente avec la nouvelle coopérative des riziculteurs de Bapere (coopérative Mchele Bora), une zone difficile d’accès, a permis d’observer un changement dans l’appréhension des producteurs qui n’avaient jamais commercialisé même un kilo de riz blanc depuis 4 ans, de collecter plus de 10 tonnes de paddy en quelques semaines, grâce à un prêt obtenu localement auprès du Fonds Tampon mis en place par les organisations paysannes. La motivation et l’opinion des producteurs envers leur organisation ont changé de sens pour donner l’espoir, à une participation plus active grâce au changement observé dans l'approche et un avenir meilleur, mutatis mutandis.
Vers de nouveaux horizons
J’estime donc que les producteurs qui ont longtemps été floués, qui ont vu leurs produits emportés par des menteurs, sont plus motivés à vendre à travers leur organisation tant que celle-ci est en mesure de répondre immédiatement à leurs besoins de liquidité pour satisfaire aux besoins du ménage. Il faut, pour cela, que les coopératives nouent des relations durables avec les prêteurs comme acteurs importants de la chaîne agricole. Il y a, évidemment, des limites. Et pour les contourner, la coopérative, forte de la confiance reconquise, doit renforcer sa force interne constituée par les membres coopérateurs et leur contribution au capital, et augmenter ses propres réserves financières.
Mon pays la RDC offrant très peu d’opportunités en matière de crédit au monde agricole paysan, il y a alors là un autre défi qui engage les acteurs œuvrant dans l’appui au monde paysan, comme Rikolto, de se liguer dans un plaidoyer pour obtenir des changements en faveur de ce secteur qui occupe plus de 70% de la population et qui nourrit le pays dans sa plus grande majorité.
Dans cette histoire, je vois l’image d’un ferment, un catalyseur dans le rôle que j’attribue aux institutions financières et bancaires qui s’engageraient à financer les différents acteurs, du producteur au consommateur, à l’image d’un ferment qui provoque des changements dans une pâte, mais sans oublier les autres aspects de l’environnement dans lequel ce changement est attendu.