Donnons du crédit aux agriculteurs familiaux

Donnons du crédit aux agriculteurs familiaux

26/09/2015

Il n’y a pas 36 façons de développer le secteur agricole d’un pays. Quasiment tous les pays du monde ont combiné au moins quatre éléments clés pour y parvenir :

  • une politique agricole basée sur l’agriculture familiale
  • une réforme agraire
  • l’accès au crédit agricole pour la production
  • la construction d’infrastructures rurales appropriées pour l’approvisionnement en énergie, le stockage et conditionnement des produits agricoles et l’accès au marché.

Si nous traduisons cela dans le contexte congolais, nous devons faire les constats suivants :

  • le gouvernement semble être convaincu que le développement du secteur agricole passe uniquement par l’installation de grands parcs agro-industriels, construits avec des investissements étrangers et pratiquant une agriculture hautement mécanisée. La grande majorité de la population rurale étant des agriculteurs familiaux, ils se sentent exclus par la politique gouvernementale et ne peuvent pas compter sur l’Etat pour créer les conditions nécessaires à leur épanouissement.
  • la révision de la loi foncière et son harmonisation avec le droit foncier coutumier sont d’une grande nécessité. Pour investir dans sa terre, un producteur doit être légalement assuré de pouvoir jouir des résultats de ses efforts. Aujourd’hui, nombreux sont les producteurs qui vivent encore dans l’insécurité foncière.
  • la Banque de Crédit Agricole du Congo a existé dans le passé, mais elle a fait faillite, une grande partie de son capital ayant été utilisée à d’autre fins suite à l’ingérence de l’Etat et un nombre de crédits insolvables trop élevés. De toute façon, les producteurs familiaux n’y avaient aucun accès. C’était réservé aux grandes entreprises.
  • les zones rurales sont largement dépourvues de toute source d’énergie durable, l’accès au marché est un problème énorme pour bon nombre de producteurs menant à de grandes pertes post-récolte et le marché est mal ou pas organisé.

Le projet PREPAR

La Confédération Nationale des Producteurs Agricoles CONAPAC et l’Alliance AgriCongo ont lancé au mois de juin 2015 la deuxième phase d’un projet ‘Synergie et Complémentarité’, financé par la Direction Générale de la coopération au Développement, la DGD du Ministère des Affaires Etrangères du Gouvernement belge. Ce projet est appelé PREPAR, comme il vise la préparation de 6 dossiers de plaidoyer sur les problèmes-clé de l’agriculture familiale, ainsi que la préparation d’une grande campagne de plaidoyer et des leaders paysans qui vont s’y atteler. En toutes lettres le projet s’appelle Projet de Renforcement des capacités d'action politique des Organisations de Producteurs Agricoles et de leurs fédérations nationale et provinciales en RD Congo.

Il n’est donc pas étonnant que les thèmes prioritaires du projet PREPAR coïncident avec les 4 problèmes-clés du secteur agricole. Dans le cadre du projet, 6 dossiers de plaidoyer ciblés seront préparés par les 6 provinces participantes. Et chaque dossier sera enrichi et amendé par les 5 autres provinces avant de lancer la campagne de plaidoyer.

Une nouvelle banque agricole au Congo ?

Le Nord-Kivu a pris à cœur le dossier du crédit agricole. L’hypothèse de départ était la création d’une nouvelle banque de crédit agricole. Vice-Premier ministre et ministre du Budget, Daniel Mukoko Samba, à l'issue d'une réunion lundi 21 janvier 2013 du gouvernement congolais présidée par le Premier ministre Augustin Matata Ponyo Mapon avait fait la déclaration suivante :

Le grand défi, comme nous l'avons dit au début de cette année 2013, c'est la production agricole. Il est donc évident qu'on ne peut pas avoir un secteur agricole florissant sans une structure de crédit agricole. Raison pour laquelle il a été décidé aujourd'hui que la Banque centrale du Congo (BCC) et le ministère des Finances puissent procéder, le plus rapidement possible, au recrutement d'une institution qui aura pour mission de faire naître une banque de crédit agricole. Cette institution sera différente de la Banque de Crédit Agricole (BCA) "morte", a souligné M. Mukoko.

Depuis cette déclaration ronronnante : plus rien.

Les travaux de l’atelier

Du 21 au 24 septembre 2015, FOPAC-Nord-Kivu, membre de la CONAPAC, et VECO, membre de l’Alliance AgriCongo, ont organisé à Goma le premier atelier du PREPAR pour la Province du Nord-Kivu. Nous avons analysé les problèmes du secteur agricole et l’importance du crédit agricole pour le Congo. Nous avons analysé le sort des banques de crédit agricole au Caméroun, ainsi que les formules de crédit agricoles en Ouganda et au Burkina Faso. Nous avons regardé les offres existantes en crédit agricole au sein des banques commerciales et des IMF. Nous avons pris connaissance d’une étude faite par Rabobank, elle-même une banque coopérative, créée il y a 115 ans par les producteurs agricoles néerlandais. Et nous nous sommes souvenus de la loi agricole, votée au parlement en juin 2011 et promulguée le 24 décembre 2011. Elle est sensée entrer en opération le 24 juin 2012, mais faute de mesures d’application elle est restée lettre morte. Pourtant, dans son chapitre 3, cette loi prévoit la création d’un Fonds National de Développement Agricole, conçu pour financer l’agriculture à des taux d’intérêts préférentiels.

Les délégués des organisations paysannes à l’atelier ont fait les constats suivants :

  • une banque de crédit agricole créée et gérée par l’Etat souffrira toujours des mêmes maux qui ont conduit à la disparition des BCA au Congo et au Caméroun. Sa gestion ne sera pas transparente et ce seront encore les grandes entreprises agro-industrielles qui seront privilégiées, vu le penchant bien clair du gouvernement vers les parcs agro-industriels. Un banque de crédits à 100% agricoles amène une concentration de risques qui menace la survie de l’initiative.
  • les banques commerciales aujourd’hui donnent bien des crédits de campagne pour la collecte et la transformation des produits agricoles et des crédits d’investissements, mais elles ont peur du crédit à la production agricole. Pourtant, en Ouganda et au Burkina, des banques commerciales ont bien fait le pas, et ne l’ont pas regretté. Nous avons analysé les conditions de réussite et nous avons constaté que leur portefeuille pour le crédit agricole ne dépasse pas les 20% de leur enveloppe de crédit totale. Aussi ont-elles adopte des méthodes d’approbation et d’accompagnement de proximité par des agronomes au service des banques. Mais elles se confinent aux centres urbains et restent largement absentes des zones rurales. Si on pouvait résoudre leur besoin en garanties pour le crédit agricole à la production, elles seraient intéressées.
  • les institutions de micro-finance de toutes sortes se développent partout en RDC. COOCEC, AVEC, MUSO, elles sont nombreuses et certaines comme la CECAFEP sont même des initiatives paysannes. Elles ne sont pas encore très actives en matière de crédit agricole, toujours effrayées par les risques, mais elles sont bien plus proches de producteurs et pourraient ainsi jouer un rôle de suivi de proximité.

Un appel fort de l’atelier PREPAR : oui au FONADA !

Inspirés par ces constats, les participants à l’atelier PREPAR au Nord-Kivu ont décidé de ne pas mener un plaidoyer pour la résurrection de la banque agricole défunte, ni pour la transformation de la CADECO en une banque agricole, comme suggérée par la Rabobank dans son étude, mais bien pour l’installation rapide du FONADA, Fonds National de Développement Agricole, par Décret du Premier Ministre.

Ce fond pourra servir de fonds de garantie ou d’enveloppe de crédit pour les banques commerciales, qui pourraient mettre en place des mécanismes de gestion des crédits en collaboration étroite avec les IMF pour un suivi de proximité.

Toutefois, il faudrait que quelques amendements soient apportés au décret FONADA :

  • une représentation paysanne de la CONAPAC devrait siéger dans les organes de gestion du FONADA
  • le FONADA devrait se doter d’une unité interne spécialisée dans la conception de produits financiers appropriés pour l’agriculture familiale.
  • une partie significative du fonds (par exemple 60%) devrait être réservée exclusivement pour le crédit aux agriculteurs familiaux
  • le FONADA doit être alimenté prioritairement par des recettes internes au Congo et non pas par des financements externes, en vue de sa durabilité
  • le FONADA doit être mis en place par une phase de pilotage, où seront expérimentés les produits à petite échelle, une phase de consolidation après amélioration des produits suite à une évaluation de la phase de pilotage et la phase de mise à échelle sur toute l’étendue du territoire national.

En vue d’un plaidoyer intensif, la province du Nord-Kivu propose de créer d’abord une coalition large avec les parties intéressées, dont feront partie également les partenaires techniques et financiers multilatéraux et bilatéraux, après quoi une table ronde serait à organiser avec l’appui des PTF, pour demander un engagement concret aux autorités concernées.

Le rêve du producteur agricole congolais

Il faut oser rêver, et les participants à l’atelier PREPAR-NK ont osé. Ils voient un avenir où les agriculteurs familiaux ont accès au crédit agricole pour se professionnaliser et ainsi rendre le secteur agricole rentable, viable et durable. Les jeunes reprendront un intérêt pour l’agriculture et en feront leur métier. Au lieu d’importer chaque année pour 1,5 milliards de $ de vivres, les agriculteurs congolais nourriront tout le pays qui deviendra même un exportateur net. La balance commerciale sera assainie et à condition que le gouvernement s’attèle en même temps à améliorer le climat des affaires, tout le monde sera gagnant. La République Démocratique du Congo ne sera plus jamais comme avant.

Les autorités de la République Démocratique du Congo entendront-elles cette fois-ci l’appel fort de la population agricole ? Le nouveau Ministre Provincial de l’Agriculture, Pêche, Elevage et Développement Rural du Nord-Kivu, S.E. Christophe Ndibeshe Byemero, en tout cas n’a pas laissé de doutes, lors de la clôture officielle de l’atelier PREPAR: nous avons son soutien inconditionnel. Quant à son homologue national, S.E. Emile Mota Ndongo Kang qui vient tout juste d’entrer en fonction depuis le 25 septembre 2015 suite à un «réaménagement technique» du gouvernement Matata II, nous ne manquerons pas de le contacter en temps opportuns.