Les coopératives construisent un monde meilleur. C'est le moto sous lequel toutes les coopératives du monde entier célèbrent leur force. La 100e édition depuis le lancement de cette manifestation par les coopératives et la 28 édition de cette Journée internationale des coopératives reconnue par les Nations Unies, tombe cette année 2022 le 2 juillet. En RDC, cette forme particulière d'entreprise sociale reste généralement méconnue et délaissée, en premier lieu par les autorités. Et c'est vraiment dommage, car on ne peut pas s'imaginer de meilleurs alliés pour réussir la revanche du sol sur le sous-sol. Une interview.
Les coopératives construisent un monde meilleur
Les coopératives construisent un monde meilleur
Bonjour. Vous célébrez aujourd’hui la journée internationale des coopératives. C’est quoi une coopérative ?
Une coopérative est une entreprise commune de personnes qui se regroupent volontairement dans le but de satisfaire leurs aspirations économiques, sociales et culturelles communes, grâce à une gestion démocratique et collective des ressources de l’entreprise. La société coopérative est donc une entité à capital et membres variables, dotée d’une personnalité juridique pleine, distincte de celle de ses membres. Elle fait l’objet d’une immatriculation et dispose d’organes de gestion et de contrôle. Toute coopérative partage et respecte les valeurs et principes coopératif,s établis au niveau international. Ici au Congo, les coopératives agricoles sont les plus nombreuses. Pour avoir une capacité de négociation sur les marchés nationaux et mondiaux, nous devons mettre en commun nos avoirs et nos savoirs.
En cette année 2022 vous célébrez la 100ième édition de la journée internationale des coopératives. Les sociétés coopératives existent donc déjà depuis un siècle ?
Même depuis plus de 140 ans. L'Alliance coopérative internationale, fondée en 1985, a commencé à célébrer les coopératives en 1923, et à l’occasion du centenaire de l'Alliance coopérative internationale en 1995, l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé officiellement que la Journée internationale des coopératives des Nations Unies est célébrée chaque année le premier samedi de juillet. Donc aujourd’hui.
Le thème de la JIC 2022 est « Les coopératives construisent un monde meilleur ». Comment devons-nous comprendre cela ?
Notre modèle d'entreprise est différent des entreprises privées. Celles-ci sont centrées sur le capital et sur le bénéfice que le capital peut générer pour ses actionnaires. Une société coopérative est centrée sur l'humain, inspirée par les valeurs coopératives d'entraide, de responsabilité personnelle, de démocratie, d'égalité, d'équité et de solidarité et les valeurs éthiques d'honnêteté, d'ouverture, d'engagement social, de responsabilité et du souci des autres. Les coopératives sont actives dans le monde entier et même parmi les plus grandes sociétés de la planète, nous retrouvons des coopératives. Celles-ci se sont révélées plus résistantes aux crises à travers les actions concrètes qu’elles développent:
- Elles favorisent la participation économique de la population
- Elles génèrent de bons emplois durables,
- Elles contribuent à la sécurité alimentaire,
- Elles luttent contre la dégradation de l'environnement et le changement climatique,
- Elles maintiennent le capital financier au sein des communautés locales,
- Elles construisent des chaînes de valeur éthiques en améliorant les conditions matérielles et la sécurité des personnes et
- Elles contribuent à une paix positive.
N’est-ce pas que si tout cela se réalise, cela revient à construire un monde meilleur ?
Que représentent les coopératives dans l’économie mondiale ? Ne s’agit-il pas de petites initiatives en marge de l’économie, sans beaucoup de poids comparé aux grandes entreprises multinationales ?
Pas du tout ! Je vous donne quelques chiffres : le monde entier compte environ 1.400.000 coopératives, qui ont ensemble plus d’un milliard de membres. Une personne sur 7 sur cette planète est donc membre d’une coopérative. Elles ont créé plus de 100 millions d’emplois salariés et assurent les moyens de subsistance à plus de 250 millions de ménages dans ce monde. Les 300 coopératives les plus grandes du monde ont un chiffre d’affaires annuel combiné de plus de 2,5 milliards de dollars. Chez nous au Congo, nous sommes en train de nous rattraper. Le Réseau des coopératives des producteurs de café-cacao de la RDC compte déjà une cinquantaine de coopératives-membres, avec en tout 100.000 membres producteurs de cacao-café. Et ceci n’est que le début ! Le potentiel des coopératives agricoles en RDC est vaste !
Chez nous, au Congo, pourtant, on entend souvent dire que les coopératives sont à éviter, car il y a beaucoup d’abus et de tricheries ?
Quand vous regardez l’historique des coopératives dans notre pays, on voit que ce sont les colons belges qui ont introduit le concept. Malheureusement ils l’ont conçu en une version tronquée, qui a déformé la coopérative en un outil qui devait servir la colonisation et asseoir leur pouvoir. C’était seulement une façon d’organiser les producteurs pour acheminer de façon ordonnée les produits agricoles vers les centres de traitement et d’exportation des colons. Mais les principes des coopératives tels que la démocratie, l’égalité, l’équité etc. ont tous été volontairement oubliés. Les agriculteurs étaient repoussés dans le rôle de fournisseur de matière première, sans aucune participation en aval des chaînes de valeur. Après l’indépendance, nous, congolais, malheureusement nous avons continué sur cette mauvaise voie tracée par les colons. La plupart des coopératives ont été manipulées par des politiciens et des barons du régime, de la même façon que ceux-ci l’avaient observé chez les colons. Cela a sali gravement la renommée des vraies coopératives, et jusqu’aujourd’hui, de nombreuses personnes croient que coopératives = exploitation et tricheries par des manipulateurs. Pourtant les choses ont bien changé : en 2010, l’Organisation en Afrique pour l’harmonisation du droit des affaires, OHADA en sigle, a adopté l’acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives. Comme notre pays est membre de l’OHADA, cet acte uniforme fait désormais partie de l’arsenal juridique de la RDC aussi. Les coopératives de la nouvelle génération, les vraies, sont en train de naître. Et c’est là que nos coopératives se heurtent à de nombreux problèmes.
Vous dites que l’adoption d’une loi en faveur des coopératives crée des problèmes pour les coopératives. Cela semble contradictoire. Pouvez-vous nous éclairer ?
L’acte uniforme de l’OHADA relatif au droit des sociétés coopératives est en effet une excellente loi, formulée à base de longues expériences des coopératives de par le monde. Le problème au Congo est que cette loi n’existe que sur papier. Elle n’a jamais été appliquée. Les fonctionnaires ne la connaissent pas, et les banques refusent de reconnaître le statut des coopératives, parce que les mesures d’application de cet acte uniforme n’ont pas suivi. Je vous donne un exemple : pour être reconnue comme coopérative, celle-ci doit être immatriculée comme société coopérative dans le Registre des coopératives. Depuis les 12 ans que l’acte uniforme existe, toutefois, ce registre n’a jamais été installé. Une coopérative qui se présente au guichet unique pour la création d’une entreprise, y trouvera des fonctionnaires ignorants, qui ne voient même pas apparaître la société coopérative parmi les options dans leur logiciel, et qui vont imposer un statut totalement différent, tel que celui d’asbl, ou de groupement d’intérêt économique. Et pourtant, une asbl n’est pas une entreprise, car elle n’a pas de but lucratif, et un GIE est une forme de collaboration entre entreprises privées existantes. Les coopératives se voient ainsi imposer un matricule du RCCM, le registre de commerce et de crédit mobilier, alors que leur immatriculation devrait se faire au registre des coopératives, mais qui n’existe toujours pas. C’est pourquoi certaines banques refusent d’ouvrir un compte pour les coopératives. La négligence de nos autorités dans la mise en œuvre de l’acte uniforme porte ainsi préjudice au agriculteurs familiaux qui s’unissent en coopératives agricoles. La plus grande force du secteur agricole se voit négligée par l’Etat, malgré tous les beaux discours que nous entendons sur la relance de l’agriculture chez nous. Les coopératives agricoles pourraient en être le porteur principal si seulement l’Etat pouvait reconnaître le potentiel de nos coopératives.
Qu’est-ce que l’Etat congolais devrait faire, à votre avis ?
Tout d’abord, commencer par mettre en œuvre l'acte uniforme de l'OHADA relatif au droit des sociétés coopératives, notamment par la mise en place du Registre des coopératives sur l'ensemble du territoire de la RDC. Cet acte a été adopté en 2010 et 12 ans plus tard, il n'a toujours pas été mis en œuvre. L'acte uniforme de l'OHADA relatif au droit des sociétés commerciales, par contre, a été adopté en 2014 et la mise en œuvre a suivi immédiatement. Pourquoi les sociétés coopératives ne sont-elles pas traitées avec le même respect que les sociétés privées? Alors que potentiellement elles peuvent changer la vie de beaucoup plus de congolais? La reconnaissance entière du statut de coopérative serait déjà un grand pas en avant.
Ensuite, la reconnaissance de ce statut particulier de coopérative implique aussi la reconnaissance que les coopératives sont des entreprises avec non seulement un but lucratif mais aussi un but social. Cela veut dire que les coopératives contribuent au bien-être des communautés aussi, pas seulement aux intérêts privés de leurs membres. Cela justifie la mise en place d'un régime fiscal beaucoup plus clément, puisque les coopératives investissent déjà directement dans la communauté sans passer par le fisc, ce qui est même plus efficace. Réduire la pression fiscale pour les coopératives serait une forme de reconnaissance de leur double mission, un encouragement pour leur multiplication et augmenterait leurs moyens pour investir dans les communautés.
Enfin, la nature spécifique des coopératives et leur vaste potentiel économique justifie que notre gouvernement mette en place une politique nationale d'appui aux coopératives. Les pays avec le mouvement coopératif le plus fort sont aussi les pays avec une politique nationale d'appui aux coopératives les plus actives. En RDC, le SNCOOP, Service national des coopératives et organisations paysannes, un département du Ministère du développement rural, doit devenir un service pro-actif, doté de moyens significatifs par le budget national, mettant en place des organes de participation démocratique des coopératives à la formulation et à la mise en œuvre d'une politique d'appui d'envergure aux sociétés coopératives. Cette politique, bien réfléchie ensemble avec les coopératives agricoles, pourrait devenir le fer de lance de la « revanche du sol sur le sous-sol » et serait bien plus efficace que l’approche actuelle des parcs agro-industriels, dont nous avons tous constaté l’échec.
Si l’Etat construit un environnement propice pour l’épanouissement des coopératives, celles-ci sont la meilleure forme d’entreprise pour créer l’emploi et le bien-être, faire émerger une économie inclusive socio-écologique, protéger contre les méfaits du capitalisme sauvage, lutter contre la corruption et établir une réelle démocratie à la base. L’Etat, à son tour, et la Nation toute entière, bénéficieront des activités et de l’esprit des coopératives.