Reconfigurer la fédération des organisations des producteurs agricoles du Congo au Nord-Kivu, FOPAC NK, voilà l’un des grands points traités au cours de l’assemblée générale de cette organisation afin de mieux s’adapter au contexte actuel et à venir. C’est décidé : la FOPAC NK aura un département spécialisé dans le plaidoyer et un autre pour les filières agricoles porteuses.
Révolution de la mentalité, gage de pérennisation de la FOPAC NK
Révolution de la mentalité, gage de pérennisation de la FOPAC NK
Mardi 11 et mercredi 12 avril 2017, salle des conférences du syndicat de défense des intérêts paysans, SYDIP, en ville de Butembo, province du Nord-Kivu dans l’Est de la RDC. Les délégués des organisations paysannes membres de la FOPAC NK sont en assemblée générale ordinaire pour discuter de l’avenir de leur organisation faîtière. Objectif global : s’assurer de la viabilité de la FOPAC NK et de ses organisations membres en définissant les nouvelles orientations de ses interventions dans l’approche coopérative. Et pour faciliter la réflexion sur les stratégies de la prise en charge de la FOPAC NK et de ses OPA (organisations des producteurs agricoles) membres, le consultant s’appelle Ivan Godfroid, directeur régional de VECO RDCongo. « Gouverner, c’est prévoir. L’assemblée générale d’une organisation doit prévoir. Vous avez le défi de réfléchir sur l’avenir de la fédération », lance Ivan Godfroid à l’assistance.
« En réfléchissant à l’avenir, il faut se rappeler d’où l’on vient », ajoute Ivan. Sur un ton humoristique, celui-ci déclare ne plus se souvenir depuis quand FOPAC existe. La réponse vient de l’assistance : la fédération a été créée en 2002.
Attentisme
« Est-ce qu’on vous a présenté le rapport financier de votre fédération ? Il faudra faire beaucoup d’attention pour connaitre la part des cotisations des membres dans le budget annuel », dixit Ivan Godfroid. Premier constat : moins de 40% des membres sont en ordre avec les cotisations. Deuxième constat : il découle du premier constat que la part des interventions couvertes par les cotisations a encore baissé.
Selon Balitenge Wangahemuka, président du SYDIP, une des organisations membres de la FOPAC NK, il y a péril en la demeure. « De 90 organisations membres il y a peu, on est à 20 aujourd’hui. En 2014, le chiffre était de 80, 51 en 2015, 20 aujourd’hui. A cette allure, la fédération va bientôt mourir », déclare-t-il. Ivan reprend : « Il est temps de lancer l’alerte afin de sauver de justesse cette organisation. Ou bien, l’assemblée générale peut décider de dissoudre l’organisation. Ou alors, les membres diront que l’on peut compter sur les bailleurs de fonds. Si vous êtes convaincu que les bailleurs vont venir sauver la FOPAC, alors continuez à vous tromper. Si vous voulez pérenniser votre fédération, il ne faut pas trop compter sur l’extérieur. Pour cela, il faut développer une stratégie de renforcement des capacités de FOPAC à se prendre en charge ».
Diagnostic
L’assemblée générale doit supporter cette nouvelle logique à 100%. Ce doit être un engagement pris par les membres. « L’an passé, la FOPAC NK a mené des activités génératrices de revenu dans la filière de la pomme de terre. Si on peut arriver à dupliquer ces activités et les mener à bien, on peut sauver la fédération », affirme Alphonse Niyoita, délégué du Groupe pour Etudes et Actions de développement Socio-sanitaires et Economiques, GEASE, une organisation paysanne du territoire de Masisi.
Pour Kambale Kyotha, président de l’union des organisations paysannes membres de la FOPAC NK en secteur Ruwenzori, territoire de Beni, « on a mal commencé dès la création de la fédération en plaçant l’espoir dans les actions des bailleurs des fonds. Ce qui a amené un certain attentisme. Ensuite, on a mal identifié les organisations membres à la base. Les organisations paysannes membres de FOPAC sont faibles financièrement comme les paysans eux-mêmes qui ne sont pas forcément professionnels. Du coup, le contraste est profond : les organisations paysannes qui boitent veulent que FOPAC puisse les aider alors que la fédération attend aussi les cotisations de ces organisations paysannes ».
Achile Mbusa Lumalisa, président de la FOPAC NK, confesse : « AGRITERRA a lancé l’alerte en 2010. Mais rien n’a été fait du côté de la fédération pour réfléchir concrètement sur la stratégie de pérennisation de la fédération.»
Alors, comment pérenniser la FOPAC NK?
Selon Ivan Godfroid, la question de base, c’est : « Qu’est-ce qui peut générer les moyens à l’intérieur de la fédération des organisations des producteurs agricoles du Congo au Nord-Kivu ? »
De la discussion houleuse sortent trois éléments. D’abord, la fédération doit avoir le courage de revoir sa mission. Ici se posent deux questions. Est-ce que la mission de FOPAC définie en 2002 est toujours d’actualité aujourd’hui ? Quelles sont les attentes des membres aujourd’hui ? Ensuite, qui est membre de la FOPAC NK ? En voyant la courbe descendante, on peut dire que les trois quarts des membres ne croient plus en leur fédération. Enfin, le financement de la fédération ne peut être réalisé que par les paysans eux-mêmes. « Quand le mouvement paysan a commencé en Belgique, il y a 120 ans, il n’y avait pas question de bailleurs de fonds. Les paysans belges ont mis en place une stratégie de mobilisation des ressources intérieures en faisant l’intégration des producteurs agricoles comme force économique », révèle le directeur régional de VECO RDCongo avant de proposer : « Essayons de repenser le fonctionnement de la FOPAC NK en sachant qu’il y a un nouvel arrivant : la coopérative. Le producteur a des relations différentes avec son organisation paysanne et sa coopérative. Il va vers la coopérative pour atteindre le marché. Il adhère à une organisation pour la professionnalisation de sa ferme. »
Financement interne
La fédération des organisations des producteurs agricoles du Congo au Nord-Kivu pourra se financer de différentes façons. D’abord, les cotisations des territoires et des organisations paysannes à dimension provinciale. Cet argent servira à coordonner, à mener le plaidoyer, réaliser des services provinciaux ou nationaux comme le système d’information sur le marché, mobiliser les moyens pour les programmes communs (avec des possibles bailleurs des fonds). Viennent ensuite les paiements pour services livrés aux membres individuels ou par filières : bureau de commercialisation conjointe, appui à l’élaboration et mise en œuvre des plans d’affaires, évaluations d’impacts,… En troisième lieu, ce sont les services commerciaux de gestion séparée. C’est ici que l’on peut penser par exemple à une coopérative d’achat groupé d’intrants agricoles ou une entreprise de services mécanisés.
Dans ce sens, tout service contribuant à l’augmentation du revenu du producteur doit être payant. Car le service même va générer des moyens supplémentaires dont une partie pourra servir à payer le service. Deux conditions pour les services payants : la pertinence du service permettant de générer des revenus et son coût raisonnable.
Structuration géographique et par filières
La FOPAC NK sera dorénavant structurée aussi par filières. La fédération disposera ainsi d’un département politique qui s’occupe avant tout du plaidoyer, et d’un département économique qui pourra rendre des services d’appui demandés par les acteurs des filières agricoles porteuses. L’Assemblée Générale a été bien claire en ce qui concerne l’appui agronomique aux producteurs : ceci n’est pas le rôle de la fédération, mais des grandes Organisations Paysannes bien outillées. La fédération n’a donc pas besoin de se doter d’un département technique.
Les logiques des filières sont tellement différentes qu’on ne peut pas les maîtriser toutes. Les premières filières retenues sont le riz, le café, le maïs et la pomme de terre. « L’idée est de ne pas embrasser toutes les filières à la fois. On ne va pas laisser tomber les autres filières. Il est question de se pencher spécialement aux filières avec lesquelles on peut vite avancer », recommande Ivan.
Deux conseils de la part du directeur régional de VECO RDCongo à l’égard de la FOPAC NK. Premièrement, unir les gens dans une organisation politique très forte mais capable d’être bien structurée jusqu’à la base. Les membres recherchent à s’unir en bloc afin de faire front commun pour influencer les décideurs politiques. Deuxième conseil, regrouper toutes les forces économiques dans des coopératives spécialisées dont les membres sont des producteurs professionnels regroupés en filières. Chaque filière saura comment appuyer le producteur professionnel et ce que ce dernier donne en retour pour l’avancement de la filière.
La recommandation a été formulée à l’endroit du secrétariat exécutif de la fédération de définir les critères minima que doivent remplir les organisations paysannes membres. En outre, la fédération va identifier les coopératives existantes et leur seuil de rentabilité : état des lieux, inventaire des coopératives, rentabilité, stratégie de viabilisation des coopératives. La rentabilité de telles initiatives dépend des dynamiques locales. Et c’est là que la structuration territoriale est importante car elle inclut une logique de rentabilité. Les organisations se regroupent au niveau territorial. Ce qui permet un rapprochement entre la fédération et le producteur agricole. « Et pourquoi ne pas, à plus long terme, à côté des coopératives spécialisées, envisager une fusion en une seule ou juste quelques organisations paysannes politiques, plutôt que de continuer avec la fragmentation actuelle, qui constitue une faiblesse, alors qu’elle multiplie les coûts de fonctionnement des organes de toutes ces mini-organisations? », la question est posée. « Une belle perspective », répond un producteur.
Révolution de la mentalité
Il faut une révolution de la mentalité pour avancer. « C’est le défi que je vous lance : êtes-vous prêts pour une révolution au sein de la FOPAC NK ? », s’enquiert Ivan Godfroid, convainquant l’assistance que le succès du mouvement paysan repose sur le bénévolat et la force des membres. Un défi auquel les délégués répondent à l’unanimité : « oui ».
La FOPAC NK doit se restructurer. « C’est possible d’y arriver en 3 ans », argumente Evariste Mali, du CENED (Centre d’Education Nutritionnelle et Environnementale pour le Développement), une organisation dont le siège se trouve à Kanyabayonga, au sud du territoire de Lubero. Le secrétariat exécutif de la fédération va proposer les 3 étapes. A l’assemblée générale d’instruire l’exécutif de tenir tout le monde informé. Pour y parvenir, la fédération doit améliorer son système d’information des membres.
« Vous êtes prêts à faire le pas qu’il faut, mais les actes doivent suivre la parole. En 2020, on pourra célébrer l’arrivée de la nouvelle FOPAC NK, reconfigurée. On pourra ressentir cela dans la poche des producteurs agricoles », résume le directeur régional de VECO RDCongo avant d’invoquer le nouveau programme de l’alliance AgriCongo, le PASPOR. VECO RDCongo prend le lead de l’objectif visant l’intégration des filières dans le mouvement paysan. Ce programme de 5 ans poursuit six objectifs : structuration du mouvement paysan, plaidoyer (avec les acquis du projet PREPAR), filières (intégration des forces économiques), genre (Académie Nationale paysanne Congolaise), agriculture durable (environnement) et information (systèmes digitaux notamment pour l’information sur le marché). « C’est le passeport pour l’avenir de l’agriculture familiale en RDC », conclut Ivan Godfroid.