Activité hydrique : la lutte contre le vieillissement rapide du café s’organise

Activité hydrique : la lutte contre le vieillissement rapide du café s’organise

26/12/2019
Merveille Saliboko
Merveille Saliboko
Communications Officer & Journalist in DR Congo

Elle était peu utilisée jusqu’à récemment, la mesure d’activité hydrique, pour avoir une indication sur la qualité du café. Puis, les signaux d’alerte des acheteurs sont venus rappeler l’impératif de s’y pencher toutes affaires cessantes. Chez Rikolto en RDCongo, la question est dorénavant traitée parmi les priorités des priorités. Les séances de capacitation des agents des coopératives ont déjà commencé, comme en secteur de Ruwenzori.

Ibatama, à quelques encablures de Lume. Nous sommes à l’Est de la RDC, sur les flancs du mont Ruwenzori en territoire de Beni au Nord-Kivu. Il est 15h30, cet avant-dernier mercredi de novembre 2019. Ici est installée une section de la coopérative Kawa Kanzururu, une micro-station de lavage de café, MSL, comme on aime le dire dans la région. Une dizaine de personnes, agents permanents au bureau central de la coopérative et travailleurs saisonniers de trois micro-stations de lavage de café, se mettent sur des bancs, et d’autres debout. Ils parlent de quelque chose de nouveau pour la plupart d’entre eux : water activity, l’activité hydrique dans le café. La séance programmée ici est animée par Rafiki Ise Kalulu, spécialiste de la chaine de valeur café en charge de l’accompagnement de proximité de la coopérative Kawa Kanzururu au sein de l’antenne de Butembo de Rikolto en RDCongo. « Les clients trouvent un niveau élevé de water activity dans vos cafés. L’activité hydrique est telle que le café peut avoir un taux d’humidité en-dessous de 12% alors qu’à l’intérieur l’eau encore présente peut encore causer des dégâts. Cette eau cause des ravages au café. Ce qui fait qu’à l’arrivée chez le client, la qualité du café se détériore rapidement », énonce Rafiki.

Activité hydrique : pourquoi s’y intéresser

Pourquoi est-ce pertinent de mesurer l’activité hydrique ? La question est posée dans un article sur le site web de Cup-A-Lot, une entreprise européenne spécialisée dans la distribution de micro-lots d’arabica de spécialité aux petites entreprises de torréfaction en Europe. Cup-A-Lot s’approvisionne en café vert auprès des coopératives que Rikolto appuie en République démocratique du Congo. Surtout, Cup-A-Lot a lancé des signaux d’alerte quant à l’activité hydrique élevée retrouvée dans certains lots des coopératives de l’Est de la RDC. Tout d’abord, faisons une plongée dans le concept lui-même. J’avoue personnellement que c’est au cours de ce dernier trimestre 2019 que j’ai entendu parler d’activité hydrique pour la première fois.

Alors, à ceux qui ne le savaient pas comme moi, sur le site de Cup-A-Lot, Laura nous donne des éléments de réponse : « L’activité hydrique, tout comme la règle des 12% du taux d’humidité, est un terme de plus en plus utilisé bien que celui-ci ne soit pas encore vraiment bien connu. Alors que le taux d’humidité parle de l’eau qui a quitté la fève, l’activité hydrique nous en dit plus sur ce qui se passe avec l’eau qui reste à l’intérieur de la fève. Les mesures de l’activité hydrique sont exprimées en décimales. Les mesures de l’activité hydrique des aliments seront toujours exprimées sous forme de valeur numérique inférieure à un et supérieure à zéro. La fiabilité des valeurs mesurées de l’activité hydrique peut varier selon le type d’appareil utilisé, et ces valeurs peuvent être affectées par la température, l’humidité relative et d’autres paramètres. C’est souvent le cas avec le café… Il y a tellement de paramètres à prendre en compte que ce ne sera jamais une science exacte. De cette façon, nous avons toujours besoin de nos compétences sensorielles, et ainsi nous pouvons toujours nous sentir utiles ! »

Activité hydrique, paramètre important pour la vente de café

Revenons à présent à la question de départ : « Pourquoi est-ce pertinent de mesurer l’activité hydrique ? » « En premier lieu, nous répond Laura, parce que c’est un indicateur de la sécurité alimentaire depuis des années. Quand il est inférieur à 0,6 les aliments sont généralement bons. Plus la valeur est élevée, plus il y a de risques de développement de moisissures, de contamination, d’intoxication, … »

Puis, elle tranche : « Toutefois, la raison la plus importante pour laquelle vous devriez mesurer l’activité hydrique dans un café de spécialité est pour prédire la durée de conservation ! La mesure de l’activité hydrique peut prédire la perte en saveur à l’avenir. Si votre activité hydrique est supérieure à 0,6, vous avez une chance nettement plus élevée de voir le café perdre ses saveurs complexes et même de moisir, développer des goûts de vieux sacs, de vieux café. Pour nous, 0,6 ou plus est un indicateur de ne pas acheter ce café du tout. Oui, nous savons qu’il y a beaucoup de paramètres, encore une fois. Comme la température, l’humidité, la qualité de la fève, …mais une activité hydrique de 0,6 est pour nous la limite à ne jamais dépasser. »

Intégrer la notion de water activity dans le traitement du café

Retour à Ibatama. Rafiki place la barre haute et fixe la marge à ne pas dépasser entre 0,4 et 0,5 pour l’activité hydrique. «* Si on dépasse cette marge, on aura la moisissure. Le café pourrit à partir de l’intérieur »*, peint-il. Et, sur un ton solennel, Rafiki déclare : « Si on ne corrige pas la situation au plus vite, les acheteurs vont se désengager comme pour la coopérative sœur, Kawa Kabuya. »

Puis, Rafiki demande à l’assistance de parler du traitement que suit le café, du champ jusqu’à la consommation. L’objectif est d’en comprendre les failles possibles et d’y remédier. « Au niveau du champ, on récolte des cerises bien mures, rouges. Pas trop mûries », lance Joël Nyondo Mbaisirirya, chargé de la qualité au niveau de la MSL de Ibatama. Avant d’être rejoint dans la réflexion par le gérant de la MSL de Ibatama, Adelard Thembo Murambe : « Lors de la réception des cerises à la micro-station, le caféiculteur doit être muni de sa fiche individuelle de livraison. Ici, nous faisons le triage manuel pour voir si le membre a bien trié son café. Puis, on fait le triage densimétrique en flottant les cerises. Celles qui sont plus légères et qui flottent, on les rend au producteur. »

Triage à chaque étape

Après le dépulpage, un autre triage se fait. « Pour mettre de côté les pulpes », dit le chargé de la qualité à la MSL de Rugesti, Kasereka Vagheni Baraka. « Nous faisons la fermentation pendant au moins 12 heures. Ça peut aussi aller jusqu’à 18 heures de temps. 18 heures, c’est au niveau des MSL situées en haute altitude, embraye Kambale Bahundiro, gérant de la MSL de Mathungu. Après fermentation, nous faisons le lavage pour éliminer des possibles flottants, puis le triage. Puis, on place le café sous ombre pour un pré-séchage pendant 4 à 7 jours. Chaque 30 minutes, nous remuons. Après quoi, le café est prêt pour le séchage au soleil. »

Le gérant de Ibatama d’ajouter un complément : « Lors du pré-séchage, je fais aussi du triage de certains calibres ». Le chargé de la qualité de cette MSL de continuer : « En moyenne, le séchage fait 2 semaines. Sous un soleil direct, nous faisons le séchage de 8 heures à 10 heures, le matin. Puis, nous remettons le café sous ombre de 10 heures à 16 heures. Après 16 heures, le café est séché au soleil direct. » A la MSL de Mathungu, le séchage prend un peu plus de temps. « Chez moi, comme je n’ai pas suffisamment d’ensoleillement, le séchage prend 3 semaines », affirme Bahundiro. « Vers la fin de la deuxième semaine, on commence à utiliser l’hygromètre pour mesurer le niveau d’humidité. Une fois sec, à 11, 12 ou 13%, je stocke et prépare l’évacuation du café vers le bureau central de la coopérative », dixit le gérant de Ibatama.

À l’arrivée au bureau de la coopérative, à Lume, le café est sous la charge d’Éric Kavutwiraki, chef de l’entrepôt attenant au bureau. Lui et son équipe vérifient certaines mesures : poids, humidité… Pour l’humidité, « si on n’est pas encore à 12%, je refais le séchage jusqu’à atteindre le niveau requis », renseigne-t-il. Dès qu’il est sec, le café va à l’usine. Là aussi, des mesures sont prises. « Nous vérifions aussi le taux d’humidité à l’usine pour voir si c’est conforme. Si on trouve que le taux est légèrement supérieur, on refait le séchage », dixit Dalmond Mbusa Mambokani, chargé de la commercialisation au sein de la coopérative Kawa Kanzururu. Et pour le véhicule utilisé pour l’exportation ? « D’abord, le choix du transitaire dépend du client. Quand le véhicule arrive, j’en fais l’inspection. S’il y a du ciment, je demande un nettoyage avec l’eau, sans savon. Et là, je dis au client que le véhicule du transitaire qu’il recommande présente des anomalies quant à la salubrité. Dans le cadre de la certification, nous allons chaque fois faire signer des documents de conformité aux transitaires », ajoute Dalmond.

Adapter le traitement aux réalités de chaque milieu

« Maintenant, où se trouve le problème ? », se demande-t-on. Rafiki répond qu’il faut placer une attention particulière au degré de fermentation et au séchage. « Il ne faut pas sur-fermenter, au risque de déclencher l’activité des micro-organismes à partir de la fermentation. La fermentation dépend du milieu et de l’atmosphère. Quand c’est chaud, ça va vite. Quand c’est frais, ça va plutôt lentement. La fermentation est suicidaire pour le café s’il y a sur-fermentation. Car, à l’arrivée, le café est comme détruit. Ne soyez pas comme des robots. Sachez apprécier l’état d’avancement de la fermentation en frottant quelques graines de café dans la main, pour ainsi vérifier si le mucilage est bien parti », explique-t-il.

Et pour le séchage ? « Atteindre 11% d’humidité en 7 jours au niveau du café parche, à l’intérieur l’activité hydrique sera autour de 0,9 ! », dixit Rafiki. La stupeur s’installe. Puis Rafiki explique. « Imaginez quelqu’un qui passe beaucoup de temps sans voir le soleil. C’est compliqué pour lui la première fois qu’il est exposé au soleil. Si vous exposez directement le café au soleil lors du séchage, il va craqueler. À l’intérieur, il y a une croûte qui emprisonne l’eau. Quoi que vous fassiez comme séchage, l’eau reste et, à l’arrivée chez le client, le café est détérioré. Vous allez vous dire que le taux d’humidité est à 11%, pourtant le malheur se passe à l’intérieur ».

Que faire ? « Il faut faire un premier séchage sous ombre pendant une semaine. Puis passer au séchage direct. Car tout café qui est sec avant 14 jours pose un problème de water activity. Il donne l’apparence d’être sec alors que des ravages se passent à l’intérieur, sous votre nez. Allez-y lentement, en remuant. De préférence, le séchage devrait prendre au moins 16 jours », chute Rafiki.

Mesurer l’activité hydrique du café avant livraison

Dernier coup d’œil sur le site de Cup-A-Lot. Laura, dans le même article cité précédemment, écrit : « Cependant, nous avons constaté que les cafés avec une valeur d’activité hydrique au-dessus de 0,6 peuvent avoir un goût vraiment agréable et complexe quand ils sont jeunes et seront un plaisir à torréfier mais cette fête ne durera pas longtemps. Donc réfléchissez bien à ce que vous voulez : si vous voulez un café avec des saveurs intéressantes et que vous le torréfiez sur place, très jeunes, ce n’est pas mal, mais nous préférons une approche plus globale avec des valeurs d’activité hydrique et des saveurs plus stables. »

Le café congolais étant un produit d’exportation, donc devant garder longtemps ses propriétés avant sa torréfaction, chez Rikolto nous nous alignons à l’approche globale de Cup-A-Lot. Nous sommes convaincus que les coopératives doivent contenir l’activité hydrique de leur café. Surtout qu’elles doivent s’assurer d’être en-dessous de la barre de 0,5 pour tout café proposé aux acheteurs. C’est pour cette raison que nous envisageons de doter les coopératives café que nous appuyons au Nord-Kivu en appareils mesurant l’activité hydrique. Cela, grâce à l’appui du Fonds international pour le développement de l’agriculture, FIDA, à travers le Projet d’appui au secteur de l’agriculture au Nord-Kivu, PASA-NK, programme dans lequel Rikolto est lead de la chaîne de valeur café arabica. Il y va de la préservation des saveurs exquises de l’arabica congolais et de sa réputation sur le marché international.