Ces goulots d’étranglement de la commercialisation du café en Ituri

Ces goulots d’étranglement de la commercialisation du café en Ituri

09/10/2017
Merveille Saliboko
Merveille Saliboko
Communications Officer & Journalist in DR Congo

Le mercredi 27 septembre 2017 a eu lieu la présentation de l’étude sur le circuit de commercialisation du café arabica dans les territoires de Djugu et Mahagi, en province de l’Ituri. L’atelier a eu lieu au chef-lieu de cette province du nord-est de la République démocratique du Congo, Bunia, devant un parterre d’invités.

Mercredi 27 septembre. Hôtel de la province, à Bunia. Bientôt 11heures. L’hymne national de la RDC vient d’être chanté. Le vice-gouverneur de la province de l’Ituri, Pacifique Keta Upar, ouvre officiellement l’atelier : « Je prends parole dans ce beau cadre pour une séance de restitution de l’étude sur le circuit de commercialisation du café en Ituri, principalement les territoires de Djugu et Mahagi. L’Ituri est une province agricole avec le café qui a fait la fierté de cette région. Il faut reconnaitre qu’à ce jour le circuit de commercialisation du café pose problème : manque d’encadrement des caféiculteurs par l’ONC (Office national du café, NDLR), manque de débouchés commerciaux à l’intérieur du pays et à l’extérieur. Le circuit de commercialisation est dès lors orienté vers l’Ouganda, causant ainsi un manque à gagner pour l’Etat. Je demande aux participants à cet atelier de capitaliser les recommandations. Bon travail ! »

Une étude multi-objectifs

Augustin Basani, l’un des deux consultants ayant réalisé l’étude, s’avance. « L’objectif global de cette étude est de doter les acteurs de café arabica de l’Ituri d’une masse d’informations suffisantes sur le circuit de la commercialisation de café dans les territoires de Djugu et Mahagi pour mener à bien les activités de plaidoyer en vue d’assainir le climat des affaires dans le secteur du café », déclare-t-il, captant au passage toute l’attention du public.

Les objectifs spécifiques sont nombreux. Il est question d’avoir des informations quantitatives et qualitatives sur le volume de production du café dans les deux territoires, notamment les quantités de café exportées légalement et illégalement, le taux de taxation par les différents services et les textes autorisant la perception des taxes sur le café.

Dans cette étude, les deux consultants ont mesuré le niveau d’application de l’arrêté du ministère national des finances et son impact sur les exportations officielles. « L’arrêté ministériel ne s’applique pas correctement dans la commercialisation du café, sauf quelques fois aux exportations officielles. Au lieu d’appliquer ce texte, les services douaniers recourent au forfait pour les exportations frontalières », lit-on dans l’étude.

L’étude répertorie les types de taxes, les services concernés et les frais connexes perçus hors du guichet unique, permettant ainsi de jeter un regard sur le fonctionnement du guichet unique au niveau de la douane de Mahagi.

Les chercheurs font une comparaison de la contribution des exportations officielles et du commerce transfrontalier illicite au trésor public et à l’amélioration du revenu des producteurs et des acteurs de la chaîne de valeur café arabica.

En outre, l’étude fait une simulation entre la situation d’il y a 5 ans, la situation actuelle et la situation idéale en démontrant que cette dernière impactera positivement l’économie de la province de l’Ituri.

La fraude, omniprésente…

Les chercheurs ayant mené cette étude sont d’avis que les frontières entre l’Ituri et l’Ouganda sont vraiment très poreuses et manquent un système de surveillance des richesses congolaises. D’où une fuite importante des fonds du trésor public devant provenir du secteur café. « Les commerçants cherchent à payer moins de taxes en faisant une fausse déclaration du tonnage. Les services de douane imposent un forfait qui dépasse de loin le taux de la vraie déclaration devant être calculé selon les textes légaux », note l’étude.

La spirale est telle que c’est le producteur qui est lésé. « En somme, dans le circuit de la commercialisation, les producteurs sont à la merci de l’escroquerie énorme de la part des petits acheteurs qui utilisent une balance truquée, d’une part, et fixent leurs propres prix, d’autre part. Ce phénomène est accentué par le poids de sur-taxation qui se répercute directement sur le prix fixé aux producteurs car les sous-acheteurs et les petits acheteurs locaux, voulant protéger leurs intérêts, fixent un prix dérisoire aux producteurs », tranchent les deux consultants. Ce qui a un impact négatif sur le panier du producteur de café. Conséquence, le caféiculteur ne bénéficie presque pas des fruits de son café.

…favorisée par les services étatiques

L’étude est tranchante. L’Office national du café, ONC Mahagi, facilite la fraude : « Le défi de ce service réside au niveau de la déclaration qui précède l’exportation. À ce niveau, les commerçants, en collaboration avec les bureaux des antennes, déclarent un faux tonnage à charger. La fraude est ainsi facilitée : quelqu’un déclare 5 tonnes alors qu’il va en réalité charger 10 tonnes. Et le véhicule ne sera pas contrôlé », égraine Augustin.

L’Office congolais de contrôle (OCC), l’Office de gestion de fret multimodal (OGEFREM), la Direction générale des impôts (DGI), la Direction générale des recettes administratives, domaniales et de participation (DGRAD) trempent aussi dans la fraude. « Il s’observe actuellement que, pour effacer toutes les traces de la malversation financière, les douaniers remettent un faux document aux commerçants exportateurs frontaliers pour le passage et leur recommandent de revenir remettre ces documents au poste lors de leur retour ou, mieux, ne leur remettent plus de documents en rapport avec le commerce de café sauf le papier de sortie pour l’Ouganda, selon certains informateurs victimes de la situation », rapporte Augustin Basani.

L’étude recommande aux députés nationaux et provinciaux de l’Ituri : « Plaider pour la suppression pure et simple des taxes illégales et pour la diminution des taux des autres taxes, au même niveau que l’Ouganda, puis en faire le suivi pour rapprocher le marché des producteurs et les avantager dans certaines mesures ».

« Repère scientifique »

Finissant sa présentation, Augustin Basani de déclarer : « Nous avons voulu partir de ceux qui subissent les tracasseries car les gens des services étatiques cachent délibérément les textes pour dire les choses qui sortent droit de leurs têtes pour ainsi escroquer les assujettis ». À quoi réagit à chaud Jean-René Menga, chef de bureau à la Direction générale des recettes de la province de l’Ituri, DGRPI : « Les exploitants, nombreux d’entre eux, sont dans l’ignorance et ne veulent pas s’informer ».

S’ensuit un débat houleux. « L’Etat va s’assumer pour endiguer cet engrenage. Mais ce ne sera pas facile car la population a acquis ce mauvais comportement depuis des lustres », embraye Didi Angaika Osée, ministre provincial de la fonction publique, des transports et voies de communication. « Endiguer la fraude passe d’abord par la transformation des hommes d’Etat sur terrain. Ils ne sont pas payés, ne sont pas mécanisés. C’est par là qu’il faut commencer car ce sont les agents étatiques qui sont les premiers à proposer des astuces de fraude », propose Jean-René, de la DGRPI.

« Comment la TMB (Trust Merchant Bank, NDLR) peut-elle intervenir pour apporter son soutien aux caféiculteurs ? », s’interroge la chef d’agence de la TMB Bunia présente dans la salle. Ce à quoi répond Léopold Mumbere, coordinateur régional du programme café de VECO RDCongo : « Dans le cadre des coopératives, on veut bien travailler avec les banques congolaises mais avec quel taux d’intérêt ? Il y a toujours de l’espace, en venant avec un taux attractif ».

Urgence d’agir

« Je suis de Mahagi et j’ai étudié grâce au café. Avec cette étude, nous avons un premier repère scientifique. C’est tout à fait normal que le Congo perde son café au profit de l’Ouganda car l’Ouganda est mieux organisé. Son taux d’imposition est à 1%. Nous devons voir comment inverser la tendance », propose Jean-Marie Uvoya, directeur de cabinet du président de l’assemblée provinciale de l’Ituri. Avant d’enchainer : « On ne peut pas demander à certifier seulement deux postes-frontières. Car la frontière a beaucoup de pistes. Il faut repenser le mode de fonctionnement des services étatiques œuvrant aux frontières ».

Autour de 13 heures, le vice-gouverneur de l’Ituri doit partir s’occuper d’autres dossiers tout aussi urgents. Mais avant de s’en aller, Pacifique Keta Upar fait une promesse solennelle : « On va créer un cadre pour discuter de toutes ces questions. Même le tonnage qu’on vient de donner, il est inférieur. Nous voulons que le taux d’imposition puisse baisser. J’avais discuté avec les gens de Kawa Maber et ils me disaient que le taux est à 13%. Je crois que l’on est à 10%. C’est trop ! Nous devons aller en-dessous de 3,5% pour être compétitif. Nous devons voir comment nous arrimer à cette compétitivité le plus vite possible car cette situation asphyxie l’économie ». « Excellence, si vous nous invitez à coanimer une table ronde sur la thématique, ce sera une première étape vers la mise en place d’une économie d’échelle forte en Ituri », dixit Léopold Mumbere avant de laisser partir le vice-gouverneur.

« Nous, participants, remercions VECO, l’organisateur de cet atelier, car nous avons découvert une richesse de l’Ituri qui était cachée : le café arabica. Cela nous interpelle pour relancer la caféiculture, en respectant les normes de qualité. Chacun de nous doit prendre les dispositions qui s’imposent », appelle Béatrice Uzele, conseillère au bureau d’étude chargé de l’environnement au sein de l’assemblée provinciale de l’Ituri, s’exprimant au nom de tous les participants à l’atelier.

« Le café de l’Ituri nous rend fiers d’avoir été deuxième dans le concours national entre cafés congolais et huitième dans le concours international de l’AFCA (African fine coffees association, NDLR) pour toute l’Afrique. J’exprime ma gratitude à l’ONG VECO RDCongo pour avoir initié cette étude. Cela nous sert de thermomètre. Quelques recommandations parmi celles énumérées sont déjà mises en œuvre par le ministère provincial de l’agriculture de l’Ituri. Nous sommes conscients du chemin à parcourir », déclare le ministre provincial de la fonction publique, transport et voies de communication de l’Ituri, Didi Angaika Osée. Léopold Mumbere, coordinateur régional du programme café de VECO, a un satisfecit : « Je remercie le gouvernement de l’Ituri pour son ouverture à mettre en place un cadre de concertation afin de rendre les recommandations de cet atelier une réalité dans l’optique de rendre à l’Ituri une renommée internationale d’endroit avec un climat des affaires favorable. Ce qui aura un impact sur l’économie de la région ».