Sur l’ile d’Idjwi, le concept « women in coffee » n’est pas un slogan creux. Un comité des femmes dans le café est opérationnel et porte les espoirs des caféicultrices. Les hommes cèdent une partie des plants de café à leurs épouses. Ce qui fait que celles-ci adhèrent, à leur tour, à la coopérative.
Idjwi et son café des femmes
Idjwi et son café des femmes
Ngula, chefferie de Rubenga, Idjwi. Province du Sud-Kivu, dans l’Est de la République démocratique du Congo. Ce jour de novembre, je me prépare à faire mes valises pour quitter ce territoire insulaire situé en plein cœur du lac Kivu. Le comité des femmes dans le café sur cette île, élu quelques jours plus tôt, lit un mémo adressé à Rikolto. « Nous, comité des femmes dans le café, nous demandons une orientation et un renforcement de nos capacités intellectuelles et pratiques dans le café via Rikolto. Nous espérons avoir des conseils et formations suffisantes afin que notre comité soit dynamique. Nous comptons fort sur l’appui de Rikolto et d’autres partenaires dans le café. La promotion des femmes dans le café est d’une importance capitale », lit Sauda Sifa, secrétaire du comité. Les membres du comité sont avant tout membres ou agents de la Société coopérative des planteurs novateurs de café du Kivu, SCPNCK, une coopérative soutenue par Rikolto en RDCongo depuis 2014.
Ambition du comité : le dynamisme
Une rencontre avec les membres dudit comité révèle qui elles sont. Sifa Mw’Bikuba, femme mariée, est dans le secteur du café depuis 22 ans. C’est une mère de 5 enfants, dont deux fréquentent l’école primaire et deux autres l’école secondaire. L’ainée vient de décrocher son diplôme d’Etat en pédagogie, comme sa mère. Mw’Bikuba est la présidente élue du comité des femmes dans le café en territoire d’Idjwi. Je lui pose la question de savoir pourquoi elle a brigué la présidence du comité. « Avant, ce sont les hommes qui géraient le café. Mais aujourd’hui, nous les femmes, nous devons nous impliquer dans la filière. Le café était une affaire d’hommes seuls. Cela doit changer ! », me répond-elle.
« Aujourd’hui, la SCPNCK veut changer la donne », dixit la vice-présidente, Faida Triphonie. « La coopérative nous a sensibilisées et nos maris ont pris l’option de nous donner une partie des plants de café afin que nous puissions les gérer nous-mêmes. Par exemple, si on a 500 tiges de café, on me fait 250 et j’adhère à la coopérative au même titre que mon mari. » Ce que corrobore le rapporteur adjoint du conseil d’administration de la coopérative, Mapendano Namegabe, qui s’est joint au groupe. « À ma femme, j’ai donné 200 tiges sur les 1000 dont nous disposons. J’observe. Si tout va bien, je lui donnerai d’autres pieds de café. Car le café est une plante d’avenir et c’est vraiment rémunérateur », explique-t-il.
Un passé douloureux mais révolu
Quand on parle de café sur l’ile d’Idjwi, on ne peut pas ne pas parler de fraude, du café allant au Rwanda par pirogue. Le groupe pousse un fou rire lorsque Mapendano déclare qu’aller au Rwanda, c’était une « fraude autorisée ». C’est Sauda Sifa qui essaye de m’expliquer : « Au retour, l’homme venait avec un kilogramme de viande ou un pagne. On ne savait rien des revenus qui provenaient de la vente de café. Qui plus est, beaucoup d’hommes périssaient sur le lac lors de la traversée. Au retour, avec le kilogramme de viande, l’homme venait avec un discours du genre ‘on nous a pillé, on n’a rien gagné’. En plus, les femmes étaient souvent battues lors de la cueillette du café. Si tu n’atteins pas le seuil fixé par le mari en termes de kilogrammes, on te battait, toi qui faisais en plus le sarclage toute l’année durant. Aussi, le séchage posait problème. Tantôt, la pluie était au rendez-vous. La vie n’était pas facile. Mais aujourd’hui, grâce à la coopérative, on reprend notre dignité : on ne subit plus les brimades. Avec mon mari, on amène le café cerise à la micro-station de lavage de café et je sais combien ça rapporte. »
J’écoute religieusement. Sans broncher. Un moment de silence s’installe. Les souvenirs sont douloureux. Mes interlocuteurs cachent difficilement leurs larmes. « Mon père est mort, noyé, lors d’une traversée du lac », confie Sauda. « Mes frères aussi », ajoute Mapendano.
Women in coffee, plus qu’un slogan !
L’émergence d’une chaîne de valeur pour le café produit par les femmes crée de nouvelles perspectives pour celles-ci. Le marketing du café des femmes à la conférence de l’AFCA (African Fine Coffees Association) en 2018 a abouti à une vente groupée à Coffee Lac à un très bon prix. Cette information relayée aux femmes a motivé leur participation (135 femmes) aux formations sur les bonnes pratiques culturales et 30% les ont appliquées dans leurs champs propres. Maintenant le volume du café des femmes prend de l’ampleur : de 0.24 tonnes en 2017 à 38.4 tonnes en 2018 pour les coopératives de l’Est de la République démocratique du Congo. Cette ligne sera renforcée dans les coopératives partenaires en vue de la diversification des acheteurs tout en les mettant en position de profiter des prix payés pour les cafés des femmes. La vente du café des femmes et les formations sont organisées par l'initiative des femmes dans le café et le cacao, IFCCA, dont l'assemblée générale constituante a lieu à Goma en octobre 2017. Cette plateforme nationale a pour ambition de rassembler toutes les femmes qui œuvrent le long des chaines de valeur café et cacao. Notre collègue Lydie Kasonia, spécialiste de la chaine de valeur café à notre antenne de Butembo au Nord-Kivu, en est la vice-représentante nationale.