Rikolto en République démocratique du Congo a conduit une enquête IBS (Inclusive Business Scan) en novembre 2017 au pied du mont Ruwenzori, en territoire de Beni, en province du Nord-Kivu dans l’Est de la RDC. Les membres de la coopérative Kawa Kanzururu s’y expriment à cœur ouvert au sujet de toutes les facettes de leur entreprise. Joie, tristesse, frustration, rancœur, encouragement, fierté, inquiétude, indifférence, déception… toutes les émotions y passent.
La coopérative Kawa Kanzururu vue par ses membres
La coopérative Kawa Kanzururu vue par ses membres
Faisons l’entrée en matière par cet homme de moins de 35 ans, caféiculteur à Ibatama, qui déclare tout joyeux : « Je vendais toujours mes cerises aux fraudeurs. Par curiosité, je suis allé vendre à la MSL (microstation de lavage de café) et j'ai été surpris par leur prix qui était plus élevé que chez les fraudeurs. A partir de ce jour, j'ai décidé de chaque fois vendre mes cerises à la MSL.»
Fierté
Quand on est cultivateur de café, trouver un marché rémunérateur est un élément très important. Et quand ce marché est proche, ça compte double. « J’avais produit du café et j’avais vendu à la MSL à un prix favorable par rapport au concurrent. Voilà l’avantage de trouver un marché proche pour mes cerises », dixit un caféiculteur.
Et si bénéfice il y a, le sentiment de fierté prend une toute autre dimension. « Le café est vraiment une culture d’avenir. Grace au café, j’ai construit une maison et acheté une chèvre », affirme un autre producteur de café. Ce jeune caféiculteur trouve un avantage particulier : « Nous avons bien récolté le café et, après la vente, j’ai payé les frais scolaires sans difficultés. »
« Je vendais mon café à la MSL à un bon prix. Là, la coopérative m’a appris le traitement du café », encense un membre appréciant sa coopérative. À cet autre de nuancer : « La saison passée, j’ai produit beaucoup de café. Plus de 500 kg. Le prix ne m’était pas favorable, ce qui fait que je n’ai pas pu subvenir à mes besoins comme je l’espérais. J’aime ma coopérative car elle a un prix supérieur à celui des concurrents. Je crois qu’il faut améliorer le prix du café pour que le producteur améliore aussi ses conditions de vie. De cette façon, nous allons planter encore plus de café ». Étendre les champs cultivés, cette caféicultrice y a déjà pensé : « Je suis contente du prix reçu pour mon café autant que les formations dispensées à la MSL. J’ai acheté d’autres champs car j’y vois un intérêt dans l’avenir ».
Des rêves se réalisent
L’affiliation à la coopérative a donc des avantages. Cela se traduit par l’acquisition des biens, après la vente des cerises. Comme le témoigne ce quadragénaire : « La saison passée s’est bien passée car, en arrivant à la MSL, j’avais vendu tout mon lot en cash. Cela m’avait permis de répondre à mes besoins et surtout d’acheter un vélo qui m’aide énormément dans mes différentes activités ». « La saison passée, c'était ma toute première fois de vendre ma cerise à la MSL. Ce qui m'avait fort plu, est le fait que j'avais reçu mon argent à l'immédiat à un prix plus au moins élevé comparativement à celui des fraudeurs », se rappelle, enthousiaste, un caféiculteur de Kavalya.
Revalorisation du café
« Depuis 1986, je suis caféiculteur. À l’époque de Mobutu, le café avait une certaine considération et un bon prix. C’est à cette époque que j’ai construit ma maison. Ces derniers temps, le café a comme perdu de sa valeur d’antan au point que le prix est devenu dérisoire. Depuis que j’ai adhéré à la MSL, les choses s’améliorent mais on nous oblige beaucoup de choses, comme le triage du café », dénonce un quinquagénaire.
Un avis que ne partage pas cette caféicultrice, soulagée : « Ayant l’âge avancé, je suis heureuse que la coopérative soit établie dans notre milieu. Car, chaque fois que je vendais ma cerise, j’étais toujours obligée d’envoyer l’un de mes enfants en Ouganda pour vendre pour moi. D’habitude, il me volait souvent car je n’étais pas présent. Aujourd’hui, j’amène moi-même ma cerise à la MSL étant donné qu’elle est proche de mon champ et j’arrive à percevoir tout l’argent auquel je m’attendais. La saison passée, ma cerise a été jugée la meilleure de la MSL ».
Mais les difficultés d’acheminement sont nombreuses pour ceux dont les champs sont éloignés. « La saison passée m’a beaucoup aidé parce que nous assistons à des séries de formations, notamment la cueillette des cerises mures. Mais le transport était si difficile car je cultive en hauteur, dans les montagnes. Amener les cerises à la MSL n’est pas facile du tout. Qui plus est, le prix me semblait bas par rapport aux coûts de production », se plaint un autre caféiculteur.
Disponibiliser l’argent de la saison à temps
Pas non plus facile, dans ces conditions, pour certains caféiculteurs, d’admettre l’idée de vendre son café à crédit. « Je suis très contente de la construction de la MSL dans notre milieu. Il y a deux ans, j’avais vendu mes cerises et j’avais trouvé de l’argent mais cette saison, on me dit qu’il n’y a pas d’argent. Alors, je rentre à la maison sans argent au moment où mes enfants sont chassés de l’école à cause du non-paiement des frais scolaires ».
Un autre caféiculteur d’asséner : « La saison passée, j’ai vendu toute ma cerise en crédit. Je n’ai vraiment pas compris comment, pendant toute une saison, la MSL avait un manque de liquidité. Ce manque d’argent a conduit à l’échec de mes enfants à l’école car ils devenaient insolvables. Je crois que cette situation de manque de liquidité était due à la désorganisation de notre MSL ».
Bref, « la micro-station doit disponibiliser de l’argent ». Car, si l’argent n’est pas là, certains agents des MSL reçoivent des menaces. Comme en témoigne celui-ci : « Ce qui est arrivé cette saison est qu’on n’a pas payé tous les caféiculteurs à temps. Je me suis senti personnellement menacé par les membres qui se lamentaient. Cela arrive quand la récolte est abondante et que l’argent ne suffit pas pour la collecte de toutes les quantités de cerises ».
Après le scan, l’action
Grâce à cette méthodologie Inclusive Business Scan, Kawa Kanzururu a eu pas mal de matière à réflexion de la part de ses membres et le conseil d’administration a essayé d’en tenir compte autant que possible. Le secret de la réussite est facile à dévoiler : pour avoir accès au crédit de campagne en début de saison, il faut fidéliser des acheteurs qui sont tellement convaincus de la qualité du café, qu’ils sont prêts à signer des contrats en début de saison. Ces contrats servent ensuite de gages pour les prêteurs, et le problème de liquidités est résolu. Cela ne peut donc marcher que si les producteurs n’amènent que les bonnes cerises à leur microstation, et si les microstations respectent à la lettre le traitement qu’il faut pour transformer ces cerises en café de spécialité. Si tout le monde respecte sa part des responsabilités, tout le monde sera gagnant !