La coopérative Mchele Bora à l’assaut de la ville de Butembo

La coopérative Mchele Bora à l’assaut de la ville de Butembo

27/05/2019
Merveille Saliboko
Merveille Saliboko
Communications Officer & Journalist in DR Congo

Les riziculteurs des Bapere, au Nord-Kivu, peuvent rêver grand. Ils ont dorénavant une coopérative pour la vente groupée de leur précieux riz. Ce qui leur permet de bénéficier des prix rémunérateurs et d’échapper à la mainmise des acheteurs de paddy qui leur rendaient la vie difficile par des mécanismes subtils de vol. La coopérative Mchele Bora, CMB, est pleinement opérationnelle.

Njiapanda, territoire de Lubero, province du Nord-Kivu, dans l’Est de la République démocratique du Congo. Octobre 2017. Deux spécialistes de la chaine de valeur riz au sein de Rikolto en RDCongo viennent s’entretenir avec les cultivateurs du riz de la collectivité-secteur des Bapere. Fabrice Maghulu et Rafiki Ise Kalulu veulent s’enquérir de la situation sur terrain afin de mieux adapter l’approche préconisée par Rikolto : la logique business.

Les riziculteurs à la merci des acheteurs sans scrupules

Dans cette collectivité pousse du riz pluvial. Les riziculteurs, cependant, sont loin de tirer les dividendes de la vente de leur précieux riz. Conséquence, les riziculteurs ne vivent pas de leur métier. Ils vendent leurs récoltes à vil prix, comme nous le témoignait alors Kaswera Tekla, habitante de Nziapanda et cultivatrice à Masimi. Là, elle dispose d’un hectare pour la riziculture. « Si je produis 6 sacs de riz paddy par exemple, la situation sur le marché local est telle que je vends en réalité 2 sacs. Les autres quantités s’envolent dans les manœuvres des acheteurs. Pour eux, un sac ce n’est jamais 100kg. C’est plutôt 120 ou 140kg, voire plus. Parfois, les acheteurs ne pèsent même pas la marchandise. Je suis obligée de vendre ma récolte selon les conditions imposées par l’acheteur. Je suis dans le besoin et il n’y a pas mieux », confiait-elle, lassée de subir le dictat de l’acheteur sur le marché.

Comment s’organiser pour conquérir le marché du riz de table des villes de Butembo et Beni ? Comment être forts sur cet échiquier afin de pouvoir proposer et imposer le prix du producteur ? Les riziculteurs veulent désormais avoir leur avenir entre leurs mains. Et pour cela, ils veulent s’organiser et mettre toutes les chances de leur côté pour aller à l’assaut du marché du riz de table de la région. Les riziculteurs, avec les conseils de Rikolto, ont trouvé la formule qui leur permettra d’entrer sur le marché : ils projettent de mettre en place une coopérative le plus tôt possible.

La coopérative, solution tant attendue

2018, les riziculteurs se réunissent à nouveau. L’idée de la coopérative est vite mise en pratique. Les textes statutaires sont élaborés. Les organes sont mis en place : le conseil d’administration et la commission de contrôle. Le gérant et le comptable sont également recrutés. Vous voulez connaitre le profil de ces animateurs ?

Paluku Luvatsi Naasson, le gérant

« Je suis natif de la zone. J’ai vu le jour à Pawanza, groupement Bapakombe, secteur des Bapere », énonce le gérant. Naasson est gradué en administration rurale à l’Institut supérieur de développement rural, ISDR-Kitsombiro en 2013. Il a travaillé comme superviseur de base des centres agricoles de SAPIN (Solidarité agricole pour le progrès intégral) dans le programme riz dans la zone de Mangurejipa jusque 2015. Puis il a été préfet des études à l’institut Kahongya à Bébé/Nziapanda de 2015 à 2017 avant d’être animateur de développement adjoint au poste Mambowa de la communauté baptiste au centre de l’Afrique, CBCA, une église luthérienne. Au même moment, Naasson est le président de la société civile de Nziapanda depuis le 19 décembre 2016.

Puis, en 2018 : il est recruté comme directeur-gérant de la coopérative Mchele Bora. La vision du gérant : « Asseoir la coopérative, la rendre viable économiquement afin que les membres sentent l’effet d’être membre dans leur poche. Et dans l’avenir, rendre autonome la coopérative Mchele Bora comme une entreprise économique. Mon vœu est d’atteindre l’autonomie en deux ans. Pour cela, les membres ont senti que la coopérative c’est eux. Nombreux se l’approprient déjà, certains trainent encore les pas. Le paddy est collecté, nous sensibilisons nos membres pour que tout le monde amène sa production à la coopérative », déclare-t-il.

Pour y arriver, il y a des défis. Des difficultés liées au marché. « Nous sommes dans une zone difficile d’accès, or le marché que nous visons ce sont les villes de Butembo et Beni. Localement on écoule mais la demande est minime par rapport à nos quantités. Le prix est une autre donnée volatile : il chute n’importe quand », dit-il.

Kambale Bwanamudogo Jackson, le comptable

Bwanamudogo est marié et père de deux enfants. Il est détenteur d’une licence en comptabilité obtenue à l’institut supérieur de commerce, ISC-Goma, en 2012. Il a travaillé une année durant dans l’entreprise de construction SEDETRAV/GL à Goma avant de devenir enseignant à l’institut Vihamba à Butembo et à l’université libre de développement, ULD-Kitsuku. Puis il a été embauché comme pompiste et caissier à la station VIHUM à Butembo avant de prendre en main la comptabilité du réseau UWAKI Nord-Kivu, rayon de Butembo en 2015.

En 2018, Jackson est recruté comme comptable de la coopérative Mchele Bora. « Les riziculteurs font acte d’adhésion à la coopérative en payant trois mille francs congolais. Nous avons une centaine d’adhérents effectifs pour l’instant. Puis ils libèrent au moins une part sociale. Plus d’une cinquantaine de membres ont déjà libéré au moins une part sociale. La part sociale est chiffrée à 40 dollars. Elle se paye soit en argent, soit en nature ou les deux. Ainsi, on s’est mis d’accord que les 40 dollars équivalent à 100 kg de paddy », explique-t-il.

Musubao Fikiri Muthavali, le président du conseil d’administration

Marié et père de 4 enfants, Musubao vit à Kaheku. Il dispose d’un champ de 12 hectares à Manzamba depuis 2005. Avant, il faisait le commerce à Isiro et d’autres localités de l’ex-province orientale. « J’ai atterri dans la riziculture car les moyens de faire le commerce commençaient à manquer. En fait, la riziculture est une bonne affaire car je vis bien grâce à cette culture », déclare-t-il avant d’énoncer sa vision pour la coopérative.

« Il faut que les riziculteurs trouvent un marché rémunérateur pour écouler leur production. C’est de cette façon que ceux-ci vivront de leur métier et que la pauvreté pourra diminuer », lance Musubao. « Avant la coopérative, on amenait le riz dans les différents marchés locaux. Mais ce sont les clients qui fixaient le prix. Et le prix était bas, très bas. Pas de réclamations. Tu vends au client car tu as besoin d’argent, même si son prix est bas », argumente-t-il.

Kahindo Ndungo Zélote, membre de la commission de contrôle

Zélote est mariée et mère de 4 enfants. « Depuis l’enfance, je suis dans la riziculture. Écolière, je cultivais le riz. Je quittais l’école et me rendais aux champs m’occuper de cette culture sur un petit lopin de terre familial », tient-elle à rappeler.

Aujourd’hui, elle cultive à Kambemba où elle a un hectare pour le riz. « Ce n’est pas une forêt vierge. C’était un champ en jachère, laissé en friche », détaille Zélote. En 2017, elle vivait à Kaheku où elle cultivait également un hectare. Puis son mari a été muté à Mambowa où elle vit désormais.

Sa vision ? « Aller de l’avant et que la coopérative ne fasse pas faillite. Pour cela, il faut accorder la valeur qu’il faut aux membres. Nous devons travailler dans la transparence afin que le riziculteur soit gagnant. Il faut aussi que nous arrivions à vendre nos productions, à fixer nous-mêmes le prix qui nous permet de gagner. Nous plaçons notre avenir et l’avenir de nos enfants dans cette entreprise coopérative ».

La coopérative sur des bonnes voies

En 2018, un crédit de 5 mille dollars à la jeune coopérative Mchele Bora a permis de tester le potentiel de ses membres producteurs de riz pour une vente groupée. Ainsi, la coopérative a forgé son chemin sur le marché urbain de Butembo en signant 13 contrats de livraison permanente de riz de qualité aux organisations, organismes publics et hôtels. Elle a pu livrer plus de 20 tonnes de riz de table. Avec son plan d’affaires qui cible pour 2019 au moins 200 tonnes, l’accès au crédit nécessaire pour le réaliser (40 mille dollars) reste un goulot d’étranglement.

Mais la confiance demande du temps à construire, une seule saison ne suffit pas. La coopérative a ouvert un compte dans deux institutions de microfinance de Butembo, car la toute première condition indispensable pour accéder à un crédit est de prouver qu’on est bien actif dans les affaires dont les mouvements de compte sont les témoins. Ensuite commencer une épargne aide aussi, car l’argent des crédits provient principalement des épargnes des membres. Finalement, bien que sans conséquences financières, une garantie morale et technique offerte par Rikolto peut aussi constituer une pièce à conviction dans un dossier de demande de crédit. La preuve : la CECAFEP vient d’octroyer un premier crédit de10 mille dollars pour 2019.

Viendra le jour où les états financiers audités d’au moins trois années successives montreront une courbe croissante du chiffre d’affaires, et l’accès à des crédits auprès des prêteurs sociaux et des banques commerciales sera définitivement gagné.

L’Etat aussi peut faire la différence !

Il n’est pas défendu non plus de rêver que le FONADA, le Fonds national pour le développement agricole, sera réellement créé un jour. Une des composantes importantes de la loi portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture, votée en 2011, ce fonds pourrait devenir un levier important pour le renforcement de l’agriculture familiale organisée à condition que les mesures d’application, qui trainent à être finalisées après 8 ans d’attente, incluent explicitement les sociétés coopératives comme des ayants droits aux crédits garantis par le futur FONADA. Ce serait une erreur stratégique de réserver ce fonds seulement à l’agriculture industrielle, qui a clairement démontré ses limites avec la faillite du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo.