L’arrivée du café dans la province du Nord-Kivu date des années 40. Les grandes plantations appartenaient aux colons, tandis que la population était obligée par les autorités coloniales de cultiver par famille 25 tiges, dans les paysannats. Cela permettait de générer des moyens financiers, entre autres pour payer les taxes et en même temps cela augmentait également la production, qui était achetée par ces mêmes colons, qui en avaient le monopole, sous forme de cerises.
Après l’indépendance, les producteurs familiaux ont graduellement élargi leurs plantations jusqu’à 1000 à 1500 tiges par famille. La filière en est foncièrement métamorphosée : si en 1960 70% du café congolais provenait des grandes plantations, aujourd’hui celles-ci ne produisent plus que 5%, le reste étant aux mains des producteurs familiaux.
Le traitement du café à la ferme a commencé à cette époque. La coopérative Coprocafé, dominée par les grands planteurs qui en étaient également les fondateurs, n’était pas gérée de façon transparente. Malgré ses prix rémunérateurs, elle a fini par faire faillite.
ONC : d’abord monopoliste, puis régulateur
C’est en 1972 que l’ONC fut créé, l’Office National du Café, qui avait le monopole du commerce du café. La zairianisation de 1973 mena à une chute brutale de la production, comme la plupart des grands planteurs étaient des étrangers (surtout des grecs qui avaient repris les entreprises des anciens colons belges). Comme l’ONC n’était pas à même de jouer son rôle, le monopole fut rompu en 1976. Le prix du café à la hausse amena un réel boom du café, ce qui ne manqua pas d’attirer la convoitise des hommes forts du régime, qui ont remplacé en 1979 l’ONC par l’OZACAF (Office Zairois du Café, rebaptisé ONC en 1997 par les nouvelles autorités). Les critères d’agréation pour tout acheteur de café étaient redéfinis pour reconcentrer le commerce dans les mains des grands planteurs. C’est en 2009 que l’ONC fut transformé en établissement public à caractère scientifique et technique, mais faute de moyens il n’a pas pu réaliser sa mission.
De mal en pis
Une coopérative CUGEKI (Cultures Générales du Kivu), créée déjà dans les années 60, se transforma en société privée et se dota d’une usine de café. Malheureusement, comme son architecture financière n’était pas très solide, elle commença graduellement à voler le café des producteurs, menant d’abord au découragement des caféiculteurs qui ensuite dessouchaient leurs caféiers, ce qui contribua à la faillite de la CUGEKI vers les années 90.
La chute structurelle des prix du café depuis le milieu des années 80 mena à l’abandon de la qualité dans la production, et cette spirale descendante renforça encore la chute des prix qui au plus bas de son cours n’était plus que de 2$ par sac de 100 kg de café parche. Un désordre total s’installa dans la filière. L’exploitation sauvage des planteurs attira les fraudeurs ougandais qui traversaient le lac Edouard illégalement, tandis que de nombreux caféiers finissaient comme bois de chauffe ou pour construire des trottinettes en bois.
Emergence des organisations paysannes
Sous l’impulsion de l’ONG locale COTEDER, qui avait mis en place un programme de formation des parajuristes depuis 1986, naquit en 1993 le Syndicat de Défense des Intérêts Paysans (SYDIP) qui se structura en filières. Ce n’était pas un hasard que sa première filière fut le café.
Le Syndicat organisa la concertation entre producteurs et acheteurs ainsi que le stockage en commun pour la mise au marché collective. Les prix se stabilisaient quelque peu. Avec la COOCENKI (Coopérative Centrale du Nord-Kivu), une synergie café fut installée en 2003-2006, donnant à la COOCENKI le mandat du commerce, mais faute de capitaux ils n’arrivèrent pas à organiser le marché. Les producteurs adoptaient à grande échelle l’hypothèque des plantations à la floraison auprès des créditeurs informels, seul accès au crédit qui leur restait et qui perdure jusqu’aujourd’hui même si les prix et les taux d’intérêts étaient et sont toujours dérisoires. Entretemps certains acheteurs s’étaient organisés en pseudo-coopératives qui étaient souvent perçues par les producteurs comme des « associations de bandits ».
Enfin les coopératives spécialisées
Avec l’accompagnement des Organisations Paysannes par VECO et Agriterra émergea l’idée de mobiliser les producteurs en coopératives spécialisées. Dès le lancement de son approche « chaîne de valeur » en 2011, VECO-R.D.Congo invita Andy Carlton à faire une étude de base de la filière, tout en mobilisant les OP comme SYDIP, COOCENKI, APADER, LOFEPACO à unir leurs efforts pour l’émergence de coopératives spécialisées.
Le 10 juillet 2014, dans le siège de la COOCENKI à Mighobwe, naquit ainsi la Coopérative Kawa Kabuya, qui vient de mener sa toute première campagne de café, grâce à un contrat de coopération avec la société Phusys pour livraison à l’acheteur suisse SUCAFINA. La coopérative a été construite autour des micro-stations de lavage, concept développé par Andy Carlton : un minimum de 50 producteurs habitant une même zone de production caféicole contribuent chacun 50$ (en cash ou en contrevaleur nature) et une parcelle pour la construction, VECO contribue un même montant sous forme de crédit pour équiper la micro-station et assure la formation des membres et de leurs organes. Les micro-stations s’unissent par la suite au sein d’une même coopérative dont elles deviennent des sections. Ainsi, fin 2014, la Coopérative Kawa Kabuya compte déjà 13 sections fonctionnelles, c’est-à-dire 13 micro-stations de lavage de café qui produisent déjà du café de qualité excellente, tandis que 9 autres sont en construction et 4 autres en gestation.
Défis nombreux mais horizon attirant
S’il est vrai que « le café est une affaire d’hommes », du moins dans la perception populaire et surtout en matière de gestion des recettes, ce projet a un effet important sur les femmes aussi : elles émergent comme productrices (après que leurs maris leur cèdent une partie des plantations) et comme gestionnaires. Comme elles ne doivent plus transporter le café au marché sur leurs dos, leur temps de travail est beaucoup réduit, elles ne doivent plus pilonner le café parche à la main comme c’est la coopérative qui s’occupe désormais du déparchage. Ainsi grâce aux micro-stations de lavage, le café devient aussi « une affaire de femmes ».
En plus de cela, les coopératives, pour la première fois, sont connectées au marché international. Les acheteurs viennent même visiter les producteurs dans leurs champs pour la toute première fois de l’histoire du café. Les producteurs sont informés sur le marché international. Les coopératives créent de l’emploi pour les jeunes : chaque MSL emploie 5 personnes pendant 8 mois par an, tout en suscitant l’intérêt d’une nouvelle génération de producteurs, ce qui contribuera au rajeunissement de la filière ainsi qu’à la consolidation de la paix, comme les jeunes ne seront plus tentés à joindre les milices.
Les responsabilités de l’Etat
Comme dorénavant les exportations de café se feront par voie légale, l’économie congolaise tout comme les recettes de l’Etat en sortiront renforcées, raison pour laquelle, avec l’appui de VECO, la fédération provinciale FOPAC et la confédération nationale CONAPAC, un plaidoyer focalisé sur la filière café est organisé pour que l’Etat s’engage aussi, notamment en simplifiant et en harmonisant le niveau de taxation avec ceux des pays voisins et en combattant les tracasseries et les impositions illégales.
Si tous les acteurs, chacun à son niveau, du producteur jusqu’au consommateur en passant par les structures étatiques, prennent leur part des responsabilités, un bel avenir se dessine pour la filière du café arabica congolais !