Le Patriarche: le café est l’avenir de l’Ituri

Le Patriarche: le café est l’avenir de l’Ituri

05/07/2015

« Nous produisions une grande quantité de café qui nous procurait beaucoup de revenus. Nous prenions bien soin de nos caféiers, qui nous donnaient la vie. La vie était bonne à cette époque. »

Le Patriarche, c’est le nom que lui donnent ses amis et voisins. Il est parmi les derniers témoins d’une époque longtemps révolue. Quand je lui demande son vrai nom, il me l’épelle fièrement : Ukerdogu Ukendu Athanase.

« Les jeunes d’aujourd’hui ne peuvent pas croire que c’était comme ça. Que c’est vers ça, et même au-delà, que nous allons évoluer maintenant avec notre nouvelle coopérative Kawa Maber et notre micro-station de lavage d'Adeng-Deng Ngote. Ils pensent que leur bonheur se trouve dans les villes. Mais nous, les vieux, nous allons leur prouver qu’ils ont tort. Ils ne tarderont pas à revenir. Si nos paroles ne peuvent pas les convaincre, l’argent que nous gagnerons parlera bien pour nous. »

Durabilité

Alphonse Ulyerowa, président du conseil d’administration de la Coopérative Kawa Maber, nous trace l’historique de leur entreprise coopérative :

« Nos contrées ont longuement souffert d’une guerre ethnique qui a déchiré le tissu social. Alors quand la guerre a finalement cessé en 2005, le PNUD a voulu lancer des initiatives qui rassemblent les gens qui s’étaient combattus, autour d’objectifs communs. C’est ainsi qu’ils nous ont aidé, ensemble avec l’ONG ACIAR, à créer la Fédération des Producteurs de Café Arabica en Ituri. Nous étions regroupés en 32 unions, dont 16 dans le Territoire de Mahagi et 16 autres dans le Territoire de Djugu. Objectif : organiser la vente collective de notre café parche en Ouganda en négociant de meilleurs prix.

Ainsi en 2006 nous avons pu vendre 35 T, et l’année après 10 T. Mais le projet n’avait pas une longue durée et ACIAR a dû nous abandonner. Nous avons tenté de continuer seuls, bon an mal an, mais nous n’avons plus jamais dépassé les 10 T, faute de moyens. D’autres projets sont passés, mais aucun n’avait songé à la durabilité.

Innovation

Et puis arriva VECO avec une toute nouvelle approche. Ils sont partis des forces des producteurs et nous ont encouragés à contribuer chacun 50$ en espèces ou en nature pour construire nos micro-stations de lavage. Puis ils ont amené du matériel importé, une dépulpeuse, du filet d’ombrage et du treillis pour les tables de réception et de séchage et du polyéthylène anti-UV pour les toitures des hangars de séchage.

Maintenant nous sommes capables de produire du café de qualité mondiale et d’obtenir de biens meilleurs prix, grâce aux acheteurs avec qui VECO nous a mis en contact. Si vous savez qu’à Mahagi/Djugu nous comptons 85.000 planteurs de café qui produisent au moins 10.000 tonnes qui sont vendues chaque année illégalement aux ougandais, vous comprenez que Kawa Maber a un bel avenir. D’ici 5 ans nous espérons bien avoir plus de 100 micro-stations et plus de 10.000 membres.

Alors nous sommes très optimistes pour l’avenir. La saison passée en 2014 nous avons produit notre tout premier conteneur de café. En 2015 nous comptons bien en produire 5, si nous sommes capables de mobiliser le préfinancement pour l’achat des cerises. Et en 2016 nous en aurons 10

Collaboration Kawa Maber – Twin – VECO

« Trouver le marché pour le café de qualité n’est aucun problème », nous confirme Richard Hide de Twin. Il est venu en visite en Ituri, comme VECO l’avait invité à développer un partenariat tripartite avec la coopérative. Les visites aux micro-stations l’ont convaincu : les grands efforts de Kawa Maber pour produire un excellent café d’origine seront rémunérés. Présentement la demande pour ce type de café dépasse de loin l’offre. Twin Trading pourra facilement écouler 50 conteneurs supplémentaires.

Il amène même une proposition concrète pour répondre au défi numéro 1 de la coopérative : en intégrant Kawa Maber dans le Joint Marketing Initiative, la coopérative pourra bénéficier de la crédibilité de Twin auprès des pourvoyeurs en crédits de développement comme Root Capital et accéder à des préfinancements importants pour le café. Emmanuel Harelimana, son collègue de Twin basé à Kigali et membre de la délégation en visite, s’y mettra immédiatement pour ouvrir les portes de cette institution financière pour Kawa Maber.

La coordinatrice du projet Maanda de Twin, Cristina Ruiz, troisième membre de la délégation de Twin, de son côté, assurera un appui complémentaire à celui de VECO en se focalisant avant tout sur la double certification commerce équitable et bio, la maîtrise de la qualité par la coopérative et le marketing, y compris la représentation de la coopérative à des foires et expositions internationales.

Services étatiques : un vrai casse-tête

En attendant, le plus grand défi reste l’exportation du premier conteneur. Six mois après la fin de la récolte, le café n’a toujours pas quitté Ndrele. Problème majeur : les services étatiques de la R.D.Congo.

Cela fait plus de 20 ans qu’ils n’ont plus eu à exporter par voie légale du café marchand, et plus personne ne connait les procédures. L’Office National du Café, l’ONC, voit s’installer une bagarre entre ses bureaux de Mahagi, Bunia, Beni et Kinshasa pour savoir qui pourra mettre la main sur les taxes de ce premier conteneur. Les échantillons ne peuvent être analysés qu’à l’ONC-Beni, qui est le seul à disposer encore d’un laboratoire fonctionnel. L’OCC doit appeler Kinshasa pour obtenir des instructions qui prennent des semaines à parvenir. L’inspection de l’agriculture y voit une aubaine et impose une taxe de 890 $ pour le certificat phyto-sanitaire, fondée sur aucune loi ou règlement. Après maints coups de fil aux autorités de tutelle, elle est obligée à baisser aux 30$ réglementaires.

Tout cela fait perdre un temps fou à la coopérative, à ses membres qui attendent leur argent, au transportateur qui a son camion en stand-by et à l'importateur aux Etats-Unis qui s’impatiente. On peut très bien sentir que les intérêts des producteurs sont le moindre des soucis de cette pléthore de services étatiques. Si la semaine prochaine le conteneur pourra enfin quitter la RDC, avec un retard inutile de 3 mois, ce ne sera pas grâce à, mais bien malgré eux.

Rôle régalien

La professionnalisation de la filière café, côté producteurs, est désormais un acquis. Combien de temps faudra-t-il à l’Etat congolais pour bien comprendre son rôle régalien de promotion, facilitation et régulation de la caféiculture familiale organisée plutôt que de la décourager par ses taxations et tracasseries multiples ?