Charles Kambale Kivalotwa est, depuis la deuxième quinzaine d’octobre, le directeur-gérant de la toute jeune coopérative Cacao Okapi. Cacaoculteur lui-même (il a 4 hectares de cacao à Sesa, territoire d’Irumu, en Ituri), il est allé représenter sa coopérative au Salon du Chocolat à Paris. Une première !
A Paris, le cacao de Mambasa a attiré beaucoup de chocolatiers
A Paris, le cacao de Mambasa a attiré beaucoup de chocolatiers
Diplômé en organisations sociales de l’Institut de développement rural, ISDR-Beni, Charles est de passage à Butembo, sur sa route de retour à Mambasa lorsque je le rencontre en ce premier vendredi de novembre. Il est plein d’enthousiasme : « En 2017, on a été en contact avec Rikolto dont l’objectif est d’améliorer la qualité chez les petits producteurs pour accéder à des marchés rémunérateurs. C’est comme ça que l’UPCCO, l’Union des planteurs de cacaoyers du Congo, basée à Mambasa, a commencé les expérimentations pour une fermentation mieux contrôlée avec l’appui de Rikolto. Et nous avons immédiatement obtenu de bons résultats ! La pertinence de la création d’une entreprise coopérative produisant un cacao de qualité supérieure était ainsi prouvée. Et cette coopérative a officiellement vu le jour le 1er octobre dernier en présence des autorités politico-administratives comme le ministre provincial de l’agriculture de l’Ituri, l’administrateur du territoire de Mambasa et bien évidemment les cacaoculteurs venus de différentes sections, sans oublier notre partenaire Rikolto », s’empresse-t-il de me dire. Entretien.
Quels sont vos objectifs primordiaux ?
Ces deux dernières années, nous avons atteint 88% comme score de qualité du cacao provenant des expérimentations, lui conférant l’appellation cacao de spécialité. Cela nous pousse à aller de l’avant pour mettre en place des infrastructures de traitement de cacao de qualité supérieure. C’est vraiment une nouvelle approche. Car auparavant, les planteurs faisaient le traitement chez eux, d’une façon individuelle. Ce qui fait que l’on n’atteigne pas un cacao homogène. Parce que chacun le traitait à sa manière et selon son emploi du temps, la qualité n’était pas bonne. Or, avec les expériences des deux ans écoulés, on a trouvé que la meilleure manière d’améliorer la qualité c’est de faire un traitement standardisé dans des centres de fermentation et de séchage centralisés.
Quels sont les principaux axes auxquels vous pensez focaliser votre effort ?
Tout d’abord nous allons focaliser notre effort au niveau de la formation des coopérateurs. Grâce à la formation, les producteurs pourront nous amener du bon cacao. Car le traitement commence au champ. Le producteur devra être capable de faire la taille régulière des cacaoyers, contrôler les différentes maladies, trier les bonnes cabosses pour ainsi augmenter le rendement, le volume et la qualité. C’est très important que les producteurs fassent un bon entretien de leurs champs pour avoir le bon calibre de cacao. Aussi, nous comptons mener un plaidoyer auprès du gouvernement tant au niveau local, provincial et national. Si aujourd’hui d’autres pays sont en train d’émerger dans cette filière, c’est parce que leur cacao est soutenu par l’Etat. C’est de là que viendra le développement. Car les difficultés sont nombreuses chez nous.
Des difficultés comme ?
Entre autres, le problème des routes. Les paysans font face à ce problème : l’évacuation de leurs produits. Les producteurs ne sont pas capables de faire des routes ! Ça demande l’intervention du gouvernement. Autre défi, l’adhésion massive des membres. Nous avons déjà des bons scores. Mais quand les acheteurs vont commencer à nous demander des volumes importants de cacao à livrer, si nous ne sommes pas capables de réunir les volumes, tout notre effort ne servira à rien. Quand vous êtes moins nombreux, vous ne saurez pas répondre aux commandes des clients. C’est ce que je passerai comme message de sensibilisation aux planteurs. Ensuite, eux-mêmes deviendront les sensibilisateurs pour passer le message auprès des autres cacaoculteurs et ainsi accroître l’effectif des producteurs. Pour l’instant, nous avons entre 500 et 700 personnes qui ont manifesté leur intérêt d’être membres de la coopérative.
Ce sont tous des membres de l’UPCCO ?
Il y a une partie des membres de l’UPCCO qui ont viré vers la production de cacao de spécialité. Or tous les producteurs ne peuvent pas migrer vers cette nouvelle approche d’un coup, compte tenu des contraintes routières d’une part et d’autre part de la croissance graduelle de la demande au fur et à mesure que notre produit construira sa renommée. Ça ira progressivement. Les producteurs éloignés de la route ne peuvent pas faire partie de cette nouvelle approche. Les centres de fermentation seront installés le long des voies routières. Ce qui veut donc dire que les producteurs éloignés pourront continuer à livrer leur cacao ordinaire traité à la ferme à l’UPCCO en attendant l’ouverture des routes pour faire du cacao de spécialité. C’est donc une synergie qui s’établit dans cette transition vers la coopérative.
Quelles sont les autres difficultés auxquelles font face les producteurs de cacao ?
Actuellement, les planteurs sont des personnes du troisième âge. Les jeunes ne sont pas intéressés par l’agriculture car il n’y a pas d’accompagnement. Si les jeunes ne sont pas impliqués dans l’agriculture, la filière n’est pas durable. C’est un échec qui se prépare car les vieux vont disparaitre et avec eux la filière. Sauf si les jeunes prennent la relève. Le gouvernement doit mettre en place des mécanismes d’incitation des jeunes. Dans d’autres pays, il y a des micro-crédits qu’on peut accorder aux jeunes pour les intéresser à l’agriculture.
Aussi, il y a un problème de marché. Les producteurs engagent des moyens pour produire mais en comparant les prix payés aux dépenses engagées, ils se retrouvent souvent avec un déficit. Il leur faut un marché qui va rémunérer décemment leurs efforts. Car la situation actuelle décourage certains cultivateurs de cacao et ils pourraient abandonner cette culture. J’en ai vu qui se convertissent dans les cultures vivrières. C’est donc en synergie qu’il faut relever le défi : gouvernement, bailleurs de fonds, partenaires d’appui comme Rikolto, petits producteurs.
Rikolto nous a beaucoup aidés, notamment en nous amenant la consultante Zoi de l’entreprise ZOTO. Cette experte est venue renforcer nos capacités. Aujourd’hui, nous sommes fiers de la qualité de notre cacao. Du cacao de spécialité ! Aussi Rikolto est en train de mobiliser des fonds pour la co-construction des centres de fermentation et de séchage de cacao (les parts sociales des producteurs constituent la moitié du coût de construction d’un centre). Il faudrait que plusieurs partenaires puissent appuyer cette initiative. Aujourd’hui, nous avons le projet de construire 22 centres de fermentation et de séchage dans la zone. Mais les moyens disponibles jusque-là vont permettre de construire seulement 4 centres. Vu le potentiel de production dans la zone, il faut bien plus. C’est un grand défi. J’en appelle aux partenaires privés et publics intéressés par la filière d’appuyer l’initiative. Car, avec l’appropriation de cette culture, si appui des partenaires il y a, alors nous allons améliorer les conditions socio-économiques d’un grand nombre de petits producteurs.
Vous revenez de Paris où vous avez pris part au Salon du chocolat, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
Tout d’abord, au nom de tous les petits producteurs membres de Cacao Okapi, je tiens à adresser un grand merci à Rikolto et à ses bailleurs de fonds Alimento et Vivace, pour nous avoir facilité et financé le voyage. Le même remerciement à ZOTO. Sans eux, les petits producteurs de cacao de Mambasa ne seraient pas connus sur l’échelle internationale. Aujourd’hui, c’est une fierté pour le Congo. C’est la première fois que la RDC est représentée dans ce salon où se côtoient des cacaos de qualité supérieure. Là, on ne reçoit pas le cacao de masse ou de qualité moyenne.
Ce qui m’a le plus intéressé est que notre cacao a attiré l’attention de beaucoup de chocolatiers. Petits comme grands chocolatiers ont été intéressés par notre cacao. Nous avons échangé avec une vingtaine d’entre eux, des relations d’affaires en perspective. Question contrats, je me suis réservé car nous n’avons pas encore toutes les capacités techniques, matérielles et financières requises pour livrer de grosses quantités de cacao fin. J’ai donné l’assurance aux chocolatiers que le produit dégusté est bel et bien de la coopérative Cacao Okapi. Nous allons prioritairement construire les centres de fermentation. J’ai dit aux chocolatiers que, dès que nous aurons fini la construction de ces centres, nous serons en mesure d’honorer les commandes. Mais il faudra que nous puissions avoir un bon prix pour encourager les cacaoculteurs à produire encore plus.
Et sur le plan financier, que retenir ?
Justement, c’est un problème majeur. Avec les parts sociales des membres, on ne saura pas y arriver. Collecter le cacao, ça demande des sommes colossales. Votre question est en train d’être développée. En principe, notre gouvernement devrait nous faciliter l’accès au crédit. Nous savons que Rikolto va s’impliquer dans la facilitation de l’accès au crédit. Nous sommes déterminés à produire du cacao de qualité mais les producteurs doivent être rassurés que l’argent sera disponible dans les différents points de collecte lors de la campagne de récolte de cacao.
Combien de membres ont déjà libéré leurs parts sociales ?
Ceux qui ont déjà libéré leurs parts sociales, ils sont à plus de 150 producteurs. La part sociale a été fixée à 50 dollars. Chaque membre peut avoir jusqu’à 20 parts sociales. Ceux qui ont souscrit une part attendent la grande campagne de cacao pour doubler, tripler le nombre de parts. Ça va aller progressivement. Nous avons commencé notre campagne de récolte pendant la petite saison. Nous espérons que cette grande saison sera favorable pour la récolte de ces fonds. Cela nous permettra de renforcer notre avoir financier et surtout d’entamer la construction des premiers centres de fermentation, en co-financement avec Rikolto et ses partenaires.