Germaine Furaha Mirindi est doctorante en économie et développement rural à l’université de Liège, en Belgique. Elle est enseignante à l’Université Evangélique en Afrique, UEA-Bukavu. En 2015-2016,dans le cadre d'une collaboration entre VECO-RDCongo et Cordaid, elle a réalisé une étude sur la filière du riz au Sud-Kivu, dans l’Est de la République démocratique du Congo. Dans cette province, VECO-RDCongo appuie les riziculteurs congolais à se professionnaliser pour produire en qualité et quantité afin de conquérir le marché du riz de table de Bukavu. La chercheuse congolaise livre ses conclusions dans cette interview.
Radioscopie de la filière riz irrigué au Sud-Kivu
Radioscopie de la filière riz irrigué au Sud-Kivu
Pouvez-vous nous parler de l’importance du riz dans l’alimentation du congolais moyen ?
Selon les données de la FAO, la consommation du riz est en stagnation en RDC et se situe entre 4,7kg et 5,3kgs/personne/an. En effet, alors que jusqu’en 1999, la consommation annuelle par habitant était de 5,3kg, elle a diminué, passant à 4,5kg en 2005/2009 puis a légèrement augmenté jusqu’à atteindre 4,74kg entre 2010 et 2015 et 7kg en 2016.
Cependant, ces chiffres cachent les disparités entre les provinces de la RDC car il s’observe des différences de consommation du riz selon les provinces et les zones (urbaine ou rurale). Selon la stratégie nationale du riz, la consommation atteint 9,4 kg dans l’ex Province Orientale, 17,5 kg dans le Sankuru et dans la Province de Maniema et 19,5 kg dans la Ville Province de Kinshasa.
Lors de nos investigations en 2015, la consommation atteint jusque 38,6kg dans la ville de Bukavu et la cité d’Uvira au Sud-kivu (zones urbaines uniquement). A l’exception du Maniema et du Sankuru où le riz constitue l’aliment de base, la consommation de riz est un phénomène lié à l’urbanisation. Il importe de signaler que l’utilisation du riz dans la préparation de la bière est évaluée à 16% de la production nationale. La tendance sans cesse à la hausse de la population et de la demande des usines brassicoles entraîne un accroissement continu des besoins du pays en riz pour lequel il est déjà déficitaire.
Au sein des ménages, à Bukavu et Uvira, le riz possède une part importante dans les dépenses alimentaires. En effet, les ménages dépensent près de 29% de leur budget destinés aux céréales et tubercules (produits de substitution par rapport au riz).
Selon vous, les riziculteurs de la plaine de la Ruzizi peuvent-ils conquérir le marché du riz de table de Bukavu ?
Oui, évidemment !
Bien que le riz local subit une forte concurrence des importations qui inondent le marché du riz à Bukavu, les résultats de nos recherches nous permettent de conclure que « consommer local est un faux débat » car les gens consomment et aimeraient consommer davantage de produits locaux. Mais les consommateurs ont des exigences : ils veulent des produits alimentaires qui évoluent vers davantage de qualité, de praticité, de salubrité. Les gens aiment le riz qui soit d’utilisation pratique, propre et qui ne leur fait pas perdre beaucoup de temps. Face à une multitude de choix (riz local et riz importé), un consommateur reste rationnel. Il a ses préférences et des contraintes : il choisit ce qu’il veut par rapport à ce qui lui est présenté et il n’hésite pas à se tourner vers le riz importé lorsque l’offre locale ne répond pas à ses exigences. Pour conquérir le marché du riz de table de Bukavu, les riziculteurs de la plaine de la Ruzizi devront tout simplement proposer un riz qui répond aux exigences des consommateurs.
Ces exigences ou conditions sont donc fondamentales…
Le consommateur se base sur un critérium.
Le premier critère est la présentation du produit. C’est très important car cela joue énormément sur la psychologie du consommateur. Quand le produit est présenté avec un label ou un emballage spécifique, le consommateur connait déjà l’origine du produit et il n’a donc plus de doute. Il est étonnant de constater, sur le marché de Bukavu, que le riz produit dans la plaine de la Ruzizi est emballé dans des sacs usagers avec des écrits qui ne concernent même pas le riz. Aussi, pour rendre accessible le riz local, il faut diversifier les gammes: présenter le riz 1 kilo, 5 kilos, 10 kilos pour conquérir plusieurs segments du marché et pas uniquement présenter le riz dans des sacs de 25 ou 50 kilos. Car cela rend le riz inaccessible pour certains consommateurs. A cela s’ajoutent les impuretés et les brisures qui caractérisent ce riz.
Deuxième critère, le prix. C’est connu : le riz importé coûte moins cher que le riz local. Cependant, il est intéressant de constater que le riz de haut de gamme, celui de la Tanzanie, a un prix plus élevé que celui du riz local. Si le consommateur aisé achète le riz tanzanien, on peut déduire qu’à qualité égale le même consommateur est prêt à payer le produit local au même prix que celui de la Tanzanie. Cela dégage une marge de manœuvres pour les riziculteurs locaux en termes de coûts supplémentaires afin d’améliorer sensiblement leurs productions.
Troisième critère, la qualité. Le consommateur recherche le riz ayant un certain nombre d’attributs de qualité. Certaines qualités comme la pureté, la couleur, les non-brisures des grains sont à rechercher au niveau de la transformation (décorticage). D’autres qualités telles que l’arôme, le goût frais, un riz gonflant après cuisson, un riz propre et facile à cuisiner, un riz qui ne colle pas après cuisson : autant d’éléments à prendre en compte lors de la sélection des variétés.
Dernier critère, disponibilité dans le temps. Il n’est pas possible de fidéliser une clientèle pour un produit qui est presque toujours absent sur le marché. Le riz local est rare sur le marché à raison de son caractère saisonnier qui s’explique par une faible production. Produire un riz de qualités intrinsèques et extrinsèques et à prix compétitif est une chose et garantir sa disponibilité dans le temps en est une autre !
Cette disponibilité dépend de quatre facteurs majeurs qu’il est important d’intégrer dans toute réflexion.
Premièrement, l’accroissement de la production par l’exploitation rationnelle des potentiels rizicoles inexploités car seulement 22,4% des terres rizicoles de la plaine de la Ruzizi sont exploitées.
Deuxièmement, l’augmentation de la productivité du riz local par l’accès aux intrants de bonne qualité et aux techniques.
Troisièmement, l’existence d’infrastructures de stockage.
Et quatrièmement, la mise en place d’un système de financement efficace aux activités post-récolte.
Pour l’instant, qu’est-ce qui est fait pour relever ces défis ?
Pas grand-chose, surtout au niveau de l’Etat. Nous apprécions positivement les efforts de VECO au niveau de la transformation et de la commercialisation du riz. Les unités de transformation, pour la plupart, sont dans un état de vétusté très avancé. Ces unités donnent un riz de très mauvaise qualité. Cependant, il faut souligner les efforts de VECO ayant permis d’avoir deux nouvelles décortiqueuses semi-industrielles qui donnent un riz de très bonne qualité. D’autres efforts sont à noter pour ce qui est des aires de séchage et d’entrepôts de stockage. Ainsi, s’il y a d’autres efforts qui viennent en appui à ce qui est déjà fait, on peut relever le défi. Pour ce qui est de la commercialisation, il faut des contrats avec les grands commerçants pour vendre le riz auprès des ménages à Bukavu. Ce qui est fait comme contractualisation, c’est l’approvisionnement de la BRALIMA (une entreprise brassicole de la région, NDLR).
Pouvons-nous dire que les semences actuellement utilisées ne peuvent pas relever le défi de la qualité du riz de table ?
Pas du tout. Les semences présentant des qualités revendiquées par les consommateurs sont très peu rependues dans la plaine de la Ruzizi. C’est aussi, en partie, parce que les riziculteurs ne produisent pas en tenant compte de ce que les ménages consommateurs veulent. Et pourtant ces derniers constituent la plus grande part de marché. Les cultivateurs du riz se limitent souvent au seul marché de la BRALIMA qui ne représente qu’un petit marché. Pour la BRALIMA, les riziculteurs cultivent principalement la variété IRON, non préférée par les ménages. On comprend bien que le défi, c’est aussi au niveau des producteurs. Dans le temps, il y a eu des efforts de certains partenaires au développement, certaines ONG qui ont proposé des techniques d’intensification rizicole permettant d’utiliser des intrants de bonne qualité (semences, engrais et produits phytosanitaires) et des techniques modernes mais, après les projets, beaucoup de producteurs n’ont pas pérennisé les acquis des projets et ainsi adopté ces nouvelles techniques.
Il faut une filière semencière viable. Les gens doivent produire en fonction des besoins des consommateurs mais aussi de la concurrence. Si on met en place une filière semencière bien organisée, bien structurée, alors on peut relever le défi.
Quelles peuvent être les autres voies efficaces pour réduire les coûts de production et ainsi améliorer la compétitivité des produits locaux?
Le coût de production élevé s’explique par deux raisons différentes. D’une part, on peut avoir un coût de production élevé parce que la production est insuffisante, c’est-à-dire que le rendement est faible. D’autre part, le coût de production peut être élevé car les facteurs de production coûtent cher. Deux mesures peuvent être appliquées pour minimiser le coût de production : sur le plan de la productivité et la production.
Premièrement, il faut travailler sur le rendement. On partage la même plaine de la Ruzizi avec le Rwanda et le Burundi, et il y a des disparités. Au Rwanda, le rendement est le double de celui de la RDC. Et aux mêmes frais engagés. Augmenter la productivité dans la plaine de la Ruzizi du côté congolais passe par l’utilisation de bonnes semences, intrants de qualité, accompagnement technique afin d’appliquer toutes les techniques permettant d’atteindre un rendement d’échelle. Pour augmenter la productivité, il est nécessaire d’avoir un bon circuit d’approvisionnement en engrais et produits phytosanitaires, les équipements agricoles, l’accompagnement technique. Il faut également l’aménagement des infrastructures d’irrigation et une bonne gestion de l’eau afin que les champs rizicoles puissent facilement accéder à l’eau d’irrigation.
Deuxièmement, le coût de la terre pèse énormément sur le producteur. Le prix de la parcelle du riz coûte deux ou trois fois plus cher que pour les autres parcelles. Aussi, accéder aux produits phytosanitaires et autres intrants comme les engrais pose problème, contrairement à la plaine de l’Imbo, au Burundi, où les intrants sont accessibles aux paysans à un prix abordable. D’ailleurs, c’est au Burundi qu’un grand nombre de riziculteurs congolais s’approvisionnent pour réduire les coûts. Comme je le disais, il faut organiser le circuit d’approvisionnement en intrants et semences afin de changer la donne.
Et quel peut être le rôle de l’Etat congolais pour changer la donne ?
L’Etat a un double rôle à jouer.
Premièrement, il doit mieux jouer son rôle régulateur. Au niveau notamment de la structuration des filières comme celle des semences et autres intrants phytosanitaires. La politique de subvention d’intrants est justifiable dans un contexte comme celui de la RDC en vue d’encourager une utilisation suffisante de ces intrants par les producteurs. L’Etat doit soutenir les acteurs spécialisés sans forcément intervenir directement sur terrain. Il doit investir dans la recherche agronomique et la vulgarisation agricole.
Deuxièmement, une fois que le secteur rizicole connait un certain décollage, il est important d’instaurer des mesures protectrices comme des taxes d’importations afin de réduire des écarts de prix entre le riz local et le riz importé. Egalement, l’Etat doit promouvoir la production locale en incitant la population à consommer local. Aussi, l’Etat doit constituer un marché sûr du riz local à travers ses services : police, armée, prisons,… Les services de l’Etat consomment étonnamment beaucoup de riz mais importé. L’Etat doit aussi encourager la consommation du « terroir » en sensibilisant les entreprises locales telles que les restaurants, les hôtels,… Dans ce sens, on peut faire connaitre la production locale car le constat est qu’une grande partie de la population de Bukavu ne connait pas le riz de la plaine de la Ruzizi. Ces propositions sont à mon avis réalistes même dans le contexte actuel du pays où l’Etat est en défaillance en termes de financement agricole. Ces propositions ne peuvent pas peser sur le budget de l’Etat car elles ne coûtent pas grand-chose.
Ces propositions ne sont pas dans la stratégie nationale du riz ?
Pas nécessairement, car certaines n’y sont pas reprises. Il y a certains éléments qui sont cités pêle-mêle dans la stratégie nationale du riz. Exemples: la recherche agronomique et la vulgarisation, la filière semencière, la commercialisation des engrais,... La stratégie nationale du riz est évasive, elle ne précise pas certains aspects. C’est ça d’ailleurs sa faiblesse. Son applicabilité et suivi deviennent un peu compliqués. La stratégie doit aller vers des approches plus concrètes et ciblées car un document sans précisions ne peut pas être d’une grande utilité.
A votre avis, il faut donc revoir cette stratégie nationale du riz ?
Oui, il le faut. Le document doit préciser les cibles programmatiques et dire comment cela sera réalisé. La stratégie ne précise pas les zones prioritaires. On parle du Congo de façon générale. Concrètement, quels sont les besoins spécifiques à chaque type de riziculture ? Quels sont les axes prioritaires pour chaque type de riziculture et pour chaque province ? Qui plus est, il n’y a aucun engagement financier de la part de l’Etat. Ce document est présenté sous forme d’un dossier de demande de financement, comme n’importe qui peut écrire un projet et chercher un financement. C’est le grand handicap. Une stratégie doit présenter la situation, les axes prioritaires, les contraintes et les opportunités, ce qu’il faut faire mais surtout accompagner ce document par une volonté financière de la part de l’Etat. A titre d’exemple, la stratégie a prévu une hausse de la production passant de 340 000 tonnes en 2012 à plus de 1 400 000 tonnes d’ici 2018. Compte tenu des faiblesses évoquées ci-haut, jusqu’en 2015 la production a plutôt régressée et a atteint 307 306 tonnes. Il est probable que cette production n’atteigne pas la moitié de l’objectif fixé. D’autre part, le modèle de gouvernance de la chaîne de valeur riz prévu par la stratégie entretient une certaine lourdeur. : il faudrait décentraliser pour faciliter l’exécution des mesures et programmes. L’Etat doit dire quels sont les moyens qu’il compte mettre en œuvre et ce qu’il attend de ses partenaires. Il devrait également bien coordonner les actions de tous ses partenaires car, si les partenaires continuent à travailler de manière dispersée, on n’atteindra jamais les objectifs.
Quand on sait que beaucoup de documents importants en RDC finissent dans les tiroirs, on peut légitimement craindre que, même révisée, la stratégie nationale du riz reste lettre morte. Comment changer la situation, selon vous ?
Tout dépend de l’applicabilité du document. On peut réviser la stratégie ou l’améliorer comme je le propose, et cela restera toujours un document bon pour le tiroir. Ce qu’il faut, ce sont les actions concrètes. Nous avons un document, il faut lui adjoindre des mesures d’application. Pour atteindre les objectifs fixés par la stratégie, il faut que le gouvernement se mette sérieusement au travail, collabore et coordonne les actions des autres acteurs impliqués dans la riziculture et crée un bon climat d’affaires pouvant attirer les investisseurs nationaux et étrangers engagés dans la riziculture. Il faut régulièrement évaluer : qu’est-ce qui a marché, qu’est-ce qu’il faut encore faire pour améliorer.