Rendre le riz africain compétitif face au riz asiatique

Rendre le riz africain compétitif face au riz asiatique

09/01/2019
Merveille Saliboko
Merveille Saliboko
Communications Officer & Journalist in DR Congo

Mi-octobre 2018, il s’est tenu à Singapour la Conférence Internationale sur le riz. Sept de nos collègues y ont pris part. Après la conférence, nos collègues sont partis au Vietnam pour s’imprégner des réalités du riz asiatique sur terrain. Parmi les gens qui ont ainsi appris de façon empirique : Mame Birame Ndiaye, agent de Rikolto au Sénégal, et Louis Tchuma, de Rikolto en RDCongo. Les deux livrent les points à appliquer en Afrique dans cette interview...

Mame: La Conférence Internationale sur le Riz (International Rice Congress) est la conférence la plus large de la recherche autour du riz, denrée stratégique impliquant les acteurs à plusieurs niveaux pour produire le riz au niveau mondial.

Louis:Les acteurs sont venus de tous les pays du monde. On n’était pas en mesure d’assister à toutes les sessions. En Asie où la technologie est très développée. J’y ai vu beaucoup de technologies, pas directement transférables chez nous. Certaines techniques comme le System of Rice Intensification sont copiables, et déjà appliquées chez nous.

Quelle approche ou initiative développée par d’autres intervenants est réplicable dans votre contexte, en Afrique ? Quelle séance vous a inspiré le plus ?

Mame: Pour moi, c’est la technologie du riz fortifié pour relever le niveau nutritionnel. Ce riz peut être vendu aux écoles, l’armée, donc des grands marchés institutionnels. En Afrique de l’Ouest nous (staff de Rikolto) avons toujours pensé que le riz fortifié était du riz modifié génétiquement (OGM). Mais la conférence nous a permis de comprendre que c’est plutôt au moment de la transformation que des micro-nutriments c’est-à-dire des vitamines sont ajoutés au riz. Cette fortification du riz se fait déjà au Mali et est à capitaliser.

L’autre séance qui nous a inspirés, reste celle de Rikolto avec l’entreprise Phoenix au Vietnam portant sur la collaboration autour des principes du SRP (Sustainable Rice Platform) qui est une initiative formidable pour renforcer la résilience des petits producteurs face aux changements climatiques. Cet outil a une exigence: implication du secteur privé. Cela est un grand problème en Afrique de l’Ouest du fait de l’absence d’acteurs privés prêts à s’engager.

Louis: Je pense également à l’approche genre. C’est vrai qu’on a réalisé certaines activités comme les formations en leadership féminin, aussi le travail autour du riz étuvé. Mais j’ai trouvé que c’était insuffisant pour induire le changement. Il faut faire beaucoup plus. Maintenant je vais identifier avec femmes, et surtout les jeunes femmes, les défis sur lesquels travailler pour les couler en actions spécifiques.

Et si vous devriez mettre en œuvre cette approche nouvelle, comment l’intégrer à celle existant déjà sur terrain ?

Mame: Depuis 2018 on a déjà commencé à mettre en pratique les principes SRP à travers 3 pilotes au Bénin, Mali et Sénégal avec une moyenne de 240 producteurs par pilote, nous visons la résilience des producteurs par rapport aux changements climatiques, l’amélioration de leurs pratiques culturales et leur compétitivité sur le marché. L’autre étape de l’expérimentation du SRP sera la connexion des producteurs au secteur privé (exemple supermarché Auchan, etc.)

Dans ce sens, nous sommes en train de réfléchir sur une stratégie efficace et durable pour mettre en relation les producteurs de la FEPROBA (Fédération des Producteurs du Bassin de l’Anambé, au sud-est du Sénégal) avec la chaine de supermarché Auchan au Sénégal qui se spécialise de plus en plus dans la commercialisation des produits locaux. Des contacts seront facilités par Rikolto dans ce sens à partir de 2019, entre Auchan et la FEPROBA qui compte environ 4500 producteurs membres qui exploitent 5000 ha de riz.

Concernant le riz fortifié, les organisations partenaires de Rikolto vont se consacrer à la vente de riz paddy aux institutions qui font ce riz. En d’autres termes, la fortification du riz ne sera pas une action interne à nos organisations paysannes.

Louis: Des choses très pratiques m’ont aussi inspiré. Par exemple les sacs et autres produits GrainPro aident à réduire les pertes alimentaires et à améliorer la qualité des aliments en protégeant les produits agricoles contre l'infestation par les insectes, la moisissure, l'oxydation. Dans les nouvelles zones où nous allons travailler nous pensons collaborer avec GrainPro pour faciliter l’entreposage immédiatement après récolte en attendant la vente.

Ils ont des sacs d’entreposage de toutes les dimensions qui résistent aux intempéries. Notamment des kits de stockage mobile pouvant contenir entre 350 et 1050 tonnes. Il y a aussi des matériels de sarclage, semis… Un technicien de Bukavu m’a dit qu’il peut répliquer ça localement à partir de l’année prochaine. Pour cela, nous allons prendre en compte la construction interne de la technologie. .

Après Singapour, vous avez levé le voile pour mettre le cap sur le Vietnam où vous avez visité les programmes rizicoles. Quel souvenir gardez-vous de ces visites ?

Louis: Le riz est la culture principale au Vietnam avec les légumes. Presque tous les champs sont occupés par le riz. C’est pratiquement la culture qui occupe une bonne partie de la population du pays. La chaine de valeur est très organisée depuis la production jusqu’à la commercialisation. On trouve même des entreprises de transformation qui ont tissé des liens avec les organisations des producteurs qui reçoivent des intrants de ces entreprises pour payer après la vente.

La mécanisation est très avancée à tout le niveau de la chaine de valeur. On trouve des très grandes usines ou tout est organisé depuis le séchage jusqu’au chargement du dernier grain dans le bateau. Le séchage est électrique et certains endroits on utilise les briquettes des balles de riz pour chauffer le four de séchage des paddy.

Le riz flottant est une variété jamais vu ailleurs et qui a comme spécialité de croitre avec la crue : le semis se fait dans la pirogue et jamais le sarclage.

Les coopératives fixent les parts sociales sur base de la superficie cultivée par le membre. On trouve facilement des paysans qui cultivent 50 ha, alors que chez nous ça ne dépasse pas 2 ha. Au niveau des coopératives, le marché n’est plus un problème. Les centres de recherche sont bien équipés et disposent de tous les nécessaires pour la conservation des germoplasmes.

Mame: Le riz flottant, avec des racines de deux mètres et demi : c’était la première fois ! Je ne voyais ça que dans la littérature du SRP. Au Vietnam sur le plan institutionnel, c’est l’Etat qui fait le choix des acteurs ou organisations avec lesquelles travailler. Ce ne sont pas les ONG qui choisissent les structures. En Afrique de l’ouest, on est plus libre mais pour plus de poids et une facilitation de la mise à échelle, il demeure important d’associer les structures étatiques dans nos activités.

Concernant l’approche chaine de valeur, tous les maillons sont bien représentés au Vietnam. Cependant, il est noté un problème dans le maillon de la production : une utilisation importante de pesticides et autres produits chimiques. Pour leur accès au marché, les coopératives bénéficient de deux types de contrats : un modèle de contrat avec un prix d’achat fixe et deuxième de contrat qui suit l’évolution des prix sur le marché. Ce modèle peut inspirer comme solution au non-respect des contrats par les producteurs dans nos régions.

Les usines sont le long du fleuve pour faciliter le transport du produit. Cela montre encore une fois la nécessité des infrastructures pour le développement des chaines de valeur.

Y a-t-il des points à répliquer en Afrique ?

Mame: En échangeant avec les collègues au Vietnam, on a vu qu’ils ont un système interne de contrôle de la qualité. Nous avons demandé la documentation pour répliquer en Afrique de l’Ouest et les autres régions.

Louis: Nous verrons si c’est possible de convaincre les coopératives pour faire comme au Vietnam pour que les parts sociales soient fixées par rapport à la surface cultivée.

Comment rendre le riz africain (ouest africain, congolais) compétitif et quel est votre rôle/le rôle de Rikolto?

Mame:Au Vietnam, leurs coûts de production sont bas et la productivité est élevée. Ils peuvent faire en moyenne 6 tonnes d’hectare par an. Utilisation de beaucoup d’engrais et pesticides, évidemment avec un impact négatif sur l’environnement et la qualité du produit.

Donc chez nous, on doit agir sur la maitrise des couts de production : accès à l’eau, main d’œuvre, intrants, techniques… Les principes SRP peuvent nous y aider, notamment dans l’amélioration des pratiques culturales à moindre coût. .

Louis: Il faut une mécanisation à chaque étape. Rien que le transport du champ vers l’usine, un sac de 100 kg vous prend 4$ par vélo car il faut traverser des rivières dans la plaine de la Ruzizi. Les infrastructures doivent également être réhabilitées.

Est-ce que vous voyez déjà des changements concrets dans le bon sens, à cause de nos interventions ?

Louis: Il y a des changements concrets sur le plan qualité. Les mini-rizeries produisent du riz qui peut concurrencer le riz importé.Du côté des semences, nous avons testé toutes les variétés disponibles dans notre région avec trois institutions: l'Université catholique de Bukavu, UCB, l’université évangélique en Afrique, UEA, et l’institut national de recherche agronomique, INERA . Les producteurs étaient impliqués, mais nous avons aussi fait des tests de dégustation avec les consommateurs. Aujourd'hui, les meilleures variétés sont sur le point d'être inscrites au catalogue national par l'INERA, ce qui est nécessaire pour commencer les essais de multiplication.

Mame: Les actions de Rikolto en Afrique de l’Ouest ont enclenché un processus de professionnalisation des organisations paysannes. Cette professionnalisation peut s’apprécier en termes d’amélioration de la qualité du riz (paddy et riz étuvé). Les producteurs et leurs organisations prennent déjà en compte les exigences du marché par l’adoption de nouvelles technologies pour l’étuvage au Burkina Faso, une production de paddy sur la base de variétés demandées par le marché. C’est le cas de la FEPROBA qui a opté pour 2 variétés (Orylux 6 et Nerica L19) sur la demande du marché. La FEPROBA est devenue fournisseur agréé et certifié de semences à l’Etat. Au Burkina, il y a aussi les marchés institutionnels où les femmes étuveuses fournissent du riz étuvé répondant aux normes exigées par l’Etat via la SONAGESS.

L’expertise de Rikolto continue à être reconnue. Et pour preuve, le gouvernement du Burkina Faso a élevé Rikolto au grade de chevalier de l’ordre national du mérite. Le centre d’étuvage au Burkina Faso a été établi par le gouvernement comme centre de référence.