Une coopérative pour combattre la mort

Une coopérative pour combattre la mort

26/02/2017
Ivan Godfroid
Ivan Godfroid
Regional advisor business development

Sur l’Ile d’Idjwi, dans le féerique Lac Kivu, la Coopérative de Planteurs et de Négociants de Café du Kivu (CPNCK), a lancé ses activités avec l’appui de VECO-RDCongo. Elle contribue ainsi à des changements structurels qui sauvent la vie des gens.

« Sauver des vies », c’est vraiment à prendre à la lettre ! Depuis les années 80, les producteurs de café avaient été complétement abandonnés à leur triste sort par le gouvernement dictatorial du Maréchal Mobutu, qui avait déjà entamé sa longue descente en enfer et ne se souciait plus du bien-être de la population. Comme le café était la source principale de leurs revenus financiers, les habitants de l’Ile s’organisaient pour amener leur café au Rwanda voisin, dans des canots à rames. Mais là-bas, ils tombaient entre les mains d’acheteurs sans scrupules, qui savaient fort bien qu’il n’existait aucune forme de protection pour ces pauvres paysans qui n’avaient guère d’autre choix que de s’adonner à la contrebande. Toutes les voies pour l’exportation officielle de café avaient disparu.

Dix kilos sans poids

Raymond Bigiraneza, actuel secrétaire du conseil d’administration de la CPNCK, se souvient encore très bien de cette époque : « le poids du café était établi avec une pèse tenue dans la main. Evidemment c’était pour mieux tricher. Un jour j’avais fait un petit sac de café que j’avais pesé méticuleusement avant de partir au Rwanda pour qu’il contienne exactement 10 kg. Lorsqu’on le pesa là-bas, je n’étais pas étonné de constater que la pèse indiquait 0 kg. Jamais des sacs aussi petits étaient présentés, alors leurs pèses avaient été réglées pour sous-peser au moins 10 kg ! »

« Lorsqu’ils savaient que les congolais devenaient plus regardants, ils pesaient d’abord les cafés des rwandais, avec des bascules correctes pour gagner la confiance des congolais. Mais quand c’était leur tour à eux, ils dérèglaient vite le bascule à l’insu des producteurs, et continuaient ainsi à voler le café des congolais. »

Plus de mille veuves

« Les congolais qui partaient vendre leur café au Rwanda portaient toujours une culotte en-dessous de leur pantalon. Ils savaient que les pickpockets étaient nombreux. Ils mettaient ainsi leur argent dans les poches de leur culotte, cachées par leur pantalon. Mais évidemment, un gros paquet d’argent restait toujours visible à cause de la bosse sous le tissu. Les voleurs rwandais faisaient alors appel à des prostituées qui tentaient de séduire les congolais, jusqu’à pouvoir les toucher pour couper le tissu des pantalons. D’autres voleurs guettaient les congolais pour les poursuivre sur le lac lors de leur retour, pour les assassiner en vue de voler leur argent. D’autres encore ont fait naufrage dans des tempêtes, qui peuvent être très violentes sur le Lac Kivu. »

« C’est cela qui explique que sur l’Ile, nous comptons autant de veuves. Elles sont plus de mille ! »

La communauté s’organise

« En 1987 nous avons tenté de réduire tous ces risques en créant le CACI, le Comité des Acheteurs de Café d’Idjwi. Il s’agit d’un groupe limité d’hommes qui faisaient la traversée vers le Rwanda dans des boats motorisés, avec le café de tous les membres du comité, qui leur faisaient confiance. C’est de cette façon que nous avons fonctionné pendant toutes ces années. »

« En 2014 nous avons été appelés à un atelier à Uvira, où on nous a expliqué qu’il fallait arrêter la fraude, parce que non seulement les producteurs se faisaient rouler par les acheteurs de café, mais aussi l’Etat congolais perdait beaucoup de recettes. La CPNCK a ainsi vu le jour en février 2011 et a commencé ses opérations à partir de 2012. Tous les anciens fraudeurs sont devenus membres de la CPNCK et se retrouvaient parmi les dirigeants de la coopérative, comme ils avaient défendu pendant des années les intérêts de la communauté en offrant les services du CACI. Nous avons alors commencé à acheter le café parche des membres pour l’amener à Goma à l’usine et le vendre aux exportateurs officiels.»

Tout début est difficile

Selon le président de la jeune coopérative, Gilbert Makelele, le travail en coopérative en RDC n’était pas facile au début.

« L’Etat n’avait rien à offrir pour nous encourager. Bien au contraire, les taxes officielles et informelles et les tracasseries restent trop nombreuses. C’est avec l’arrivée de VECO sur l’Ile que nous avons trouvé un vrai partenaire, réellement préoccupé par les intérêts des caféiculteurs et l’avenir de la filière. Avec leur appui, nous avons été encouragés à collecter les frais d’adhésion pour co-investir dans la construction des micro-stations de lavage pour le traitement standardisé du café. Ils nous aident à accéder au préfinancement pour l’achat de cerises à des conditions faisables (car le taux d’intérêt des banques reste trop élevé, entre 18 et 24%) et ils nous connectent aux acheteurs de café gourmet qui nous offrent de bien meilleurs prix. Ensemble avec les trois autres coopératives de café partenaires à VECO, nous organisons une fois l’an un atelier pour faire le bilan de la saison passée et planifier la suivante, et apprendre des expériences des autres.»

Année charnière

La CPNCK est ainsi en train de se construire une bonne réputation envers ses membres et à renforcer petit à petit ses capacités. Le mûrissement d’une coopérative, cela prend du temps, bien plus de temps que les cerises. Mais le progrès est visible. En matière de qualité, les avancées sont claires : au concours de dégustation « Saveur du Kivu » en mars 2016, la CPNCK a obtenu la 5ième place. Et ses premières 12 tonnes de café gourmet, achetées par Good Ground, avaient un score SCAA de 85%. Un joli résultat.

C’est en cette grande saison de café, qui commence en mars 2017, que nous espérons voir la grande percée. Lors de l’atelier café à Idjwi, du 20 au 23 février 2017, la CPNCK a élaboré un plan d’affaires, qui doit lui permettre de réaliser pour la première fois un conteneur entier de café gourmet (320 sacs de 60 kg, soit 19,2 tonnes). Et si tout va bien, et le préfinancement peut être trouvé à temps, même deux !

Et les rwandais, acceptent-ils la défaite ?

Gilbert Makelele : « Bien sûr que non. Pour eux, l’exploitation des caféiculteurs congolais a été beaucoup trop rémunératrice pour l’abandonner comme ça d’un coup ! Ils imaginent diverses stratégies pour lier les producteurs. Certains amènent de l’argent qu’ils donnent aux producteurs au moment de la floraison, à condition de gagner le droit de récolter ce café et l’amener au Rwanda.»

« Evidemment, ce café qu’ils prendront plus tard, a une valeur bien plus grande que l’argent qu’ils distribuent à la floraison. D’autres amènent des chèvres et des vaches qu’ils offrent aux habitants de l’Ile, en échange du monopole d’acheter leur café. Alors moi je leur dis toujours: acceptez les vaches et mangez-les, mais amenez toujours votre café à la coopérative. Les rwandais cesseront bien vite ces pratiques…»

Hommes et patriotes

La CPNCK compte aujourd’hui 753 membres, dont un quart de femmes. La mobilisation de nouveaux membres pour renforcer les micro-stations de lavage continue.

Makelele : « Nous tirons la carte du patriotisme, les congolais y sont très sensibles. Nous voulons que notre café apparaisse dans nos statistiques à nous, plutôt que dans celles du Rwanda. Et les bénéfices doivent servir avant tout ceux qui ont fait l’effort de produire le café ! »

Ce qui fait dire à Raymond, d’un clin d’œil espiègle: « le seul élément qui fait encore hésiter certains hommes, c’est qu’avec la vente des cerises aux micro-stations locales, leurs femmes sont très bien informées du revenu du café et réclament leur mot à dire pour son affectation, tandis que la recette de la vente au Rwanda touchait seulement les mains des hommes, et ils pouvaient raconter n’importe quoi à leurs épouses, qui restaient sans moyen de vérification … ».

Comme quoi une coopérative comme la CPNCK augmente même la transparence au sein des ménages des membres.